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boussinesq.sur le rôle de l’intuition géométrique

quelque sorte, la moins géométrique, je veux dire celle où l’on opère sur de purs symboles algébriques, que l’on combine d’après certaines lois sans leur attribuer aucune signification de quantité continue ou de nombre. En effet, les mots arrangement, disposition, substitution, permutation, etc., dont il faut bien se servir pour exprimer les manières d’être relatives d’éléments diversement rapprochés et ordonnés, supposent les idées d’étendue, de groupement dans l’espace ; et ils deviendraient inintelligibles si ces idées venaient à disparaître.

Il y a donc tout lieu de croire que, sans le concours apporté au raisonnement par l’intuition géométrique, les mathématiques seraient impossibles. Bien plus, nos connaissances ou notions de toute nature se trouveraient sans doute, du même coup, profondément mutilées, peut-être même anéanties dans ce qu’elles ont de précis, de scientifique. On sait, en effet, quel rôle universel, inévitable, prennent dans le langage philosophique, autant que dans le langage populaire, les métaphores empruntées aux choses matérielles, dès qu’il s’agit de désigner des objets intellectuels et moraux. L’image est toujours à côté de la notion abstraite ou immatérielle, pour lui donner un corps, pour la rendre accessible et la fixer. Il ne semble donc pas possible qu’un raisonnement puisse jamais se faire sur des idées pures, séparées de la forme qui nous les représente.


V. — Réflexions sur la notion d’espace.


Ce n’est pas seulement au nom des doctrines non-euclidiennes que la légitimité de l’intuition géométrique a été mise en doute par des mathématiciens. Certains géomètres acceptent sans restriction cette faculté en tout ce qui concerne les figures tracées dans l’espace, mais ils la suspectent et même la rejettent dans sa donnée la plus fondamentale, sans laquelle les figures ne pourraient se concevoir, je veux dire dans ce qu’elle nous apprend touchant l’espace même.

Le sens géométrique nous montre, en effet, l’espace comme quelque chose d’infini, d’immuable, d’antérieur (logiquement) à toutes les figures que l’imagination y voit dessinées, comme à tous les corps qui en occupent des portions et qui s’y meuvent. Or il y a dans notre esprit une certaine tendance, qui nous porte à rattacher tout ce qui est concevable aux deux catégories de la substance et du mode (créées de bonne heure d’après les données ou sous la prédomination des sens externes), et qui voudrait nous faire regarder