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semble même contraire, n’est pas la source propre où nous avons puisé ces conceptions. Elle a pu seulement en suggérer un certain nombre, par voie d’analogie, ou tourner de leur côté notre attention, en la mettant à même d’utiliser d’imparfaites ressemblances. Les figures de la géométrie et les lois que l’intuition y fait découvrir sont jugées par nous tellement indépendantes de tout empirisme, et de l’existence même de l’univers physique, que nous ne pouvons nous empêcher de les regarder comme nécessaires ou éternelles, c’est-à-dire comme absolument pareilles chez tous les esprits, existants ou possibles, de tous les temps et de tous les lieux, même dans ce qui nous semble, en elles, contraire aux données des sens et, probablement, étranger à la stricte réalité concrète ou matérielle. Aussi a-t-on toujours admis dans la science qu’elles constituent un ordre de choses supérieur, dont la manière d’être, il est vrai, nous échappe.


L’ignorance profonde où nous sommes du chemin que notre intelligence a suivi pour arriver à la claire vision de ces vérités, à partir du jour où la perception encore sourde des mouvements imprimés à nos organes tactiles a commencé à lui révéler l’extension matérielle, ne doit pas nécessairement nous faire douter de l’exactitude objective des lois mathématiques. Car, autre chose est un but que l’on se propose, et autre chose les voies multiples qui y conduisent. L’obscurité de ces dernières n’empêche pas le but dont il s’agit ici d’être en pleine lumière, une fois qu’on l’a atteint, et d’être reconnu exactement le même, soit qu’on y parvienne en s’appuyant pour toute donnée physique sur les sensations du tact, comme ont fait les aveugles de naissance devenus géomètres, soit qu’on ait pu s’aider en outre de la vue. Il n’y a donc pas lieu, pour apprécier la justesse du sens géométrique, de se préoccuper des premières phases qu’il a dû traverser, dans une mesure plus grande qu’on ne s’inquiète, en jugeant des bonnes qualités d’un œil, de la série des transformations qu’il a subies durant sa période embryonnaire.


III. — Quelque opinion que l’on ait d’ailleurs sur son origine, l’intuition géométrique n’en reste pas moins la plus parfaite de nos facultés intellectuelles, la mieux définie dans son objet.


Mais les notions fournies par l’intuition géométrique fussent-elles seulement subjectives, ou encore dût-on les supposer, en quelque sorte, fonction tout à la fois de la nature de notre esprit et de celle des choses, l’admirable uniformité et la clarté singulière