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par suite, à mesure que l’on prend l’habitude du bien on cesse peu à peu d’être un être moral, et le mérite qu’il y a à faire le bien sera d’autant moins grand que l’on sera devenu plus vertueux. La moralité, dans l’hypothèse du libre arbitre, est au début de l’habitude et disparaît peu à peu, si l’on attribue au mot liberté le sens d’indétermination du futur.

La théorie du libre arbitre repose en outre sur deux arguments tirés, l’un de la conscience, l’autre de ce que le déterminisme n’est pas prouvé. La conscience ne saurait prouver l’indétermination du futur, parce que, pour juger si un phénomène est un cas d’une loi déterminée, il faut le rapprocher des phénomènes de même ordre, étudier ses antécédents, etc., toutes choses que l’aperception immédiate du fait de conscience ne révèle pas. La conscience établit, il est vrai, la liberté, mais cette liberté qui consiste en ce que notre volonté ne trouve pas d’obstacle, en ce que dans beaucoup de cas nous faisons ce que nous voulons et ne faisons pas ce qui serait contraire à notre volonté. Cette liberté-là, la seule que la conscience puisse nous montrer et qui suffit à la morale, n’est nullement incompatible avec le déterminisme.

Quant à l’objection que le déterminisme n’est pas prouvé, elle ne suffit pas à faire admettre l’indétermination. En effet, il n’est pas légitime de se prononcer en faveur d’une hypothèse, parce que l’hypothèse contraire n’a pas encore été démontrée. Si le déterminisme n’est pas prouvé, le libre arbitre l’est encore moins. Si l’on ne trouve pas suffisantes les analogies qui conduisent au déterminisme, il semblerait logique de rejeter, jusqu’à plus ample vérification, les deux hypothèses.

Il reste encore à examiner un point qui pourrait présenter quelques difficultés. Il résulte de la théorie de la concurrence que les phénomènes psychiques morbides sont soumis aux mêmes lois que les phénomènes psychiques normaux. C’est là en effet ce que soutient M. Luys. « C’est ainsi en résumé, dit-il, que l’on voit combien les processus morbides de la divagation, malgré les modalités les plus dissemblables sous lesquelles ils se présentent, obéissent aux mêmes lois générales que les processus réguliers du jugement. Ils s’opèrent en parcourant les mêmes phases, à l’aide des mêmes ouvriers automatiques ; ils suivent logiquement les mêmes routes, et, lorsqu’ils sont en désaccord avec le réel, lorsqu’en un mot l’opération est manquée, c’est qu’elle a été mal préparée au point de vue de l’arrivée de l’impression sensorielle et que les phénomènes de la perception ont été troublés dans leur conflit intime[1]. »

  1. Le cerveau et ses fonctions, p. 243.