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mode n’était plus à la vie d’épargne et de ménage, aux vêtements simples, à la mule traditionnelle qui portait son conseiller au Palais dès six heures, aux longues veilles consumées dans l’étude des procès, l’analyse des écritures, ou les douces récréations des compilations érudites. Tout cela avait pu convenir à ces vieux jurisconsultes, qui subsistaient de leur métier : les nouveaux magistrats étaient moins rigoureux envers eux-mêmes. Ils voulaient jouir et s’amuser sans qu’on y trouvât à redire, avoir de beaux hôtels, des meubles somptueux, des habits riches et parfumés, des carrosses, des coches, des chevaux de prix. Ils ne s’interdisaient ni la chasse, ni le bal, ni le jeu dans les brelans[1], « ni les banquets en troupes à un ou deux escus par tête en des logis escartés chez de frians cuisiniers[2] ». Quant au Palais, qui était pour le bonhomme La Roche Fiavin, un lieu et comme un temple saint et sacré, ils riaient, jasaient, plaisantaient, bouffonnaient même au conseil ou à l’audience, sans croire oublier « la gravité et la modestie requises à un sénateur ». Bref, ils prétendaient vivre comme la noblesse d’épée, dont ils avaient toutes les prérogatives.

En réalité, rien ne les distinguait des gentilshommes, fort nombreux alors à Toulouse, qui, en prévision d’une prise d’armes contre les protestants du diocèse de Pamiers, étaient accourus des contrées voisines, principalement de la Guyenne, pour se mettre aux ordres du gouverneur du pays de Foix. Les mémoires du temps parlent souvent de ce gouverneur ; il faisait en effet grande figure dans le monde et particulièrement à la Cour. Il ne devait pas seulement le rang qu’il y avait pris à sa naissance et à ses alliances, quoiqu’il fût petit-fils du célèbre Biaise de Monluc et mari de l’unique héritière d’Odet de Foix, comte de Caraman ou de Cramail, comme on disait à Paris. Il avait les dehors brillants, l’humeur Ubérale et facile d’un Termes et d’un Bassompierre. Aussi allait-il de pair avec ces héros des galanteries du Louvre, quoiqu’il fût de beaucoup leur aîné. Dans leur langage imité des romans à la mode, lés dames de Marie de Médicis, qui se connaissaient en périls, les avaient surnommés les trois Dangereux[3]. Adrien de Monluc était pourtant plus et mieux qu’un cavalier trop aimable. Il avait de l’instruction, de l’esprit, un certain penchant à scruter les secrets de la nature et même ceux de l’astrologie ; mais il avait surtout un goût très vif pour les lettres. Il se plaisait à écrire des vers ; mieux encore, il recherchait les vrais poètes et

  1. La Roche Flavin, édition citée, p. 672.
  2. Ibidem., p. 565.
  3. Mémoires de Bassompierre, édition d’Amsterdam, tome l. p. 168, sous année 1608.