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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

volontairement. Outre que la vie monastique devait être mortellement pesante à un homme de ce caractère et d’un si vif esprit, les nouvelles de ce qui venait de se passer à Paris étaient bien propres à le décider à sortir de sa retraite. L’assassinat du maréchal d’Ancre, le 24 avril, et le changement qui s’ensuivit dans la direction des affaires, avaient ruiné le crédit de ses ennemis personnels. Il n’était plus si nécessaire qu’il se cachât. Mais, une fois rentré dans le monde, que ferait-il de sa liberté ? C’est à quoi il dut penser tout d’abord. Passerait-il de nouveau à l’étranger ? Retourner en Angleterre d’où il avait été banni, où il avait failli périr sur le gibet, il n’y avait pas à y songer. Aller en Espagne ? Il ne se souciait pas de vivre dans le voisinage de l’Inquisition. Le seul parti qu’il eût à prendre, c’était de rester en France ; mais, en ce cas, tout lui conseillait d’user de certaines précautions. Le scandale des Secrets de la nature l’avait terriblement compromis ; il n’eût pas fait bon pour lui de ne pas se garder de la justice : elle ne le cherchait peut-être pas, mais, si elle le trouvait sous sa main, elle ne se ferait pas faute de l’appréhender. Ces considérations furent cause qu’il résolut de se déguiser et de changer absolument son personnage. Il renoncerait à l’état ecclésiastique ; aussi bien ne pouvait-il plus espérer d être jamais inscrit sur la feuille des bénéfices ; il prendrait une profession conforme à ses connaissances et à ses goûts ; il se ferait médecin, médecin empirique, pour garder l’habit de cavalier et ne pas avoir à s’affubler d’un costume ridicule. La prudence voulait qu’en même temps il changeât de nom. Ne pouvant plus être sans péril il signor Cesare, il serait, par une antonymie naturelle, il signor Pompeïo. Pompeïo tout court ? non pas, mais Pompeïo Usiglio, un nom de son pays[1]. Mais ces questions d’état résolues, où aller ? Il n’y avait pas trop à choisir : en Guyenne, en Languedoc ou en Provence, à Bordeaux, à Toulouse ou à Marseille ? Le séjour de Bordeaux ne serait peut-être pas sûr. Le duc d’Epernon y régnait, ami de la reine-mère et de feu Concini : il ne fallait pas s’exposer à être reconnu de son entourage. Pas d’objection contre Toulouse. On pourrait s’y rendre par la route de Bayonne, et, pour mieux donner le change, feindre qu’on arrivait d’Espagne, en intention d’aller à Paris.

L’exécution de ce plan était facile. Il suffisait de s’embarquer à Redon même sur quelque bâtiment de commerce, de descendre la

  1. C’est le nom que lui donne l’arrêt du 9 février 1619. Les journaux du 13 juillet 1877 annonçaient que M. Usiglio, compositeur de musique, auteur de le Educande di Sorrento, avait été nommé chef d'orchestre du théâtre des Italiens à Paris. Usiglio est devenu Lucilio, plus facile à prononcer pour des Français.