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Les amis qu’il avait retrouvés à Paris ne pouvaient lui être d’un grand secours ; il ne devait rien attendre, il le sentait bien, que de lui-même et de ses talents. C’était plus que jamais, grâce à ses voyages, un causeur instruit et spirituel, qui excellait à se faire valoir. Il était bien sûr qu’il saurait amuser et intéresser les gens d’esprit : le difficile était d’en trouver qui fussent d’humeur à l’obliger et en état de le servir, rara avis, surtout à la cour. Mais il était en veine de bonheur, et il n’eut pas besoin de chercher longtemps. Dès ses premières visites au Louvre, il avait remarqué un homme d’un certain âge, de dehors modestes, mais qui paraissait familier avec les plus grands seigneurs. Il avait été aux renseignements, et il avait appris que ce personnage était un Écossais qui avait été précepteur du jeune abbé de Redon, neveu de Bassompierre et du maréchal de Saint-Luc[1], et qui était resté le commensal et le conseiller intime de son ancien élève. Quelle occasion pour le philosophe, qui avait séjourné en Angleterre et qui voyait jour à gagner le cœur de cet étranger en lui parlant de son pays ! Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour s’en faire un ami, et à son gré, mieux qu’un ami, un preneur. — Bientôt après, ce qu’il avait souhaité arriva. L’abbé de Redon voulut voir ce jeune prêtre italien qu’on lui vantait sans cesse comme un homme d’une science merveilleuse et d’un esprit universel. Par les suites de l’entrevue, on peut juger s’il fut séduit à son tour. Soit pour son agrément, soit pour son instruction, Arthur d’Epinay Saint-Luc voulut s’attacher Vanini. Il le logea d’abord chez lui et lui donna place à sa table[2]. Il ne borna pas là ses bienfaits : il lui accorda encore une pension, sans lui imposer d’ailleurs des devoirs de clientèle bien rigoureux. Vanini n’avait jamais été si indépendant[3]. L’estime que son nouveau patron lui témoignait lui avait ouvert les meilleures maisons de la cour. Il fréquentait chez le nonce[4] ; il était bien accueilli, ô fortune ! chez le chancelier[5], dont il attendait son salut ; il était admis à visiter de très-grandes et très-honnêtes dames à qui il disait des gaillardises

  1. Rosset, Histoires tragiques, édition du mois d’août 1619, au chapitre « De l’exécrable docteur Vanini, autrement Luciolo, etc. » J’ai cherché six ans cette édition, qui fut supprimée presque aussitôt qu’elle eut paru. M. Charles Barry, de Toulouse, qui a bien voulu la chercher avec moi et pour moi, l’a trouvée en Angleterre. Son exemplaire, qui lui a coûté 50 francs, provient de la bibliothèque de Jean, duc de Rutland. Les autres éditions des Histoires tragiques, qui sont innombrables, ne font pas mention de Vanini. — J’apprends qu’un autre exemplaire de cette édition d’août 1619 se trouve à la bibliothèque de la ville de Chartres (Eure-et-Loir).
  2. De arcan.
  3. Rosset, Histoires tragiques, édition citée.
  4. De arcan., p. 169, 170.
  5. De arcan., p. 489.