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ments imperceptibles. Ceux-ci nous sont inconnus, et, fussent-ils atteints par notre analyse, eux-mêmes sont, peuvent être des résultantes à leur tour : car pourquoi la divisibilité de la matière s’arrêterait-elle à eux plutôt qu’aux premiers ? C’est donc seulement d’une façon grossière et tout extérieure que nous connaissons les phénomènes : nous n’en voyons que la forme. Et si, entre deux de ces groupes de mouvements, que nous nommons phénomènes, nous établissons une liaison, si au retour de l’un nous attendons l’autre, c’est donc que nous croyons pouvoir reconnaître les phénomènes, les identifier, bien que nous en voyions les contours seulement. Les formes semblables sont pour nous le gage suffisant de la réapparition des mêmes phénomènes imperceptibles : celles-là nous semblent donc entraîner, appeler ceux-ci ; nous comptons avec une certaine assurance sur le concours constant des mêmes éléments en des systèmes similaires[1]. Ainsi, en induisant, nous reconnaissons que la nature est organisée, pénétrée de finalité jusque dans ses dernières parties. — Enfin, dans le syllogisme, le jugement lui-même, à ce que pensent les kantiens, suppose déjà le même principe. Il ne s’y agit pas seulement « d’exposer (comme le veut Mill) le rapport entre les attributs du sujet et ceux du prédicat » (p. 29), et d’unir par un lien d’identité, ou de séparer comme contradictoires, ces attributs, d’ailleurs étrangers les uns aux autres, mais bien plutôt, étant donné un sujet en qui concourent plusieurs attributs, tous essentiels à sa nature, tous coopérant à une fin commune, qui est cette nature même ; il s’agit de développer l’un des attributs de ce sujet : en sorte que les deux termes ne sont pas nommés sans raison sujet et attribut ; et que leur vrai rapport, comme le dit Leibniz, est au fond un rapport de subordination, le rapport du conditionné à la condition.

Si donc il en est ainsi, ni l’induction n’est identique à la démonstration mathématique, ni elle ne procède par la voie du syllogisme, ni enfin le syllogisme n’est l’instrument des sciences mathématiques. Ces distinctions-là ne sont pas malaisées dans la doctrine de Kant, pourvu qu’on ne la mutile pas. Et l’impuissance de M. Goetz Martius à les maintenir n’est pas un indice peu significatif de son infidélité sans doute involontaire à l’égard de cette doctrine et au profil de l’empirisme. Aussi ce n’est peut-être pas par hasard que M. Goetz Martius accorde en passant un coup d’œil favorable à la doctrine qui réduit les « dispositions intellectuelles à priori » à des « propriétés de notre organisme ». Cette théorie, dit-il, a n’est pas dépourvue de sens » (p. 5). M. Goetz Martius ne serait-il pas, à son insu, en passe de devenir disciple de M. Herbert Spencer ?

A. Burdeau.

  1. Voir M. Lachelier, Du fondement de l’induction, notamment aux pages 78-82.