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analyses. — martius. Zur Lehre vom Urtheil.

que rien ne peut fixer. Car les faits simples, entre lesquels seuls on peut, suivant lui, établir des liens nécessaires, ne seront jamais atteints : grâce à la divisibilité illimitée de la matière, ils sont une chimère insaisissable. Ainsi il nous conduit assez rapidement à ce scepticisme, qui est la conséquence ordinaire et la caractéristique propre des doctrines empiristes. Enfin, avec eux encore, il rejette catégoriquement toute réalité autre que les phénomènes, comme si l’une des grandes différences, la plus essentielle peut-être, entre Hume et Kant, ne tenait pas à ce que ce dernier a ajouté au monde des phénomènes (lui-même transformé par sa subordination absolue à l’égard de la raison) un monde de noumènes, et à ce que, après avoir assuré à nos besoins scientifiques leur satisfaction, il a voulu accorder la leur à nos besoins esthétiques et moraux.

Pour les disciples de Kant, sans doute la tentative de conciliation de M. Goetz Martius les trouverait plus rebelles. Peut-être jugeraient-ils qu’en réduisant Kant au rôle d’un élève de M. Mill, il a singulièrement appauvri la doctrine de la Critique de la raison pure ; qu’il s’est ainsi privé de ressources précieuses pour la solution de plusieurs questions, et qu’on n’est pas sans en sentir les effets. — Kant a bien pu, dans un passage plusieurs fois cité par M. Goetz Martius, où il montre le vrai rôle de la raison dans les sciences, déclarer qu’elle doit, en physique comme en mathématiques, ne pas se réduire au rôle de spectateur passif, éclairer son objet au lieu d’attendre qu’il l’instruise elle-même ; mais il n’a pas entendu par là que la méthode des mathématiques fiât celle de la physique, que la démonstration ne fût, de part et d’autre, qu’un seul et même procédé et se ramenât au syllogisme. Pourtant, démonstration mathématique, syllogisme, induction, M. Goetz Martius met toutes ces opérations sur un même plan[1]. Et rien ne serait plus naturel dans une doctrine empiriste, où, tout étant réduit à des phénomènes, le monde de la qualité ne peut se relever au-dessus du monde de la quantité, s’en distinguer. Mais dans la philosophie de Kant, comme l’a fait voir M. Lachelier (de Natura syllogismi), on fait sans peine la différence entre la démonstration mathématique et le syllogisme ou l’induction. — La première considère uniquement des quantités et se ramène toujours à l’établissement d’une équation ; elle ne va ni du général au particulier, ni en sens inverse : elle se meut dans l’universel. Par tous ces caractères, elle s’oppose à l’induction et à la déduction. — Celle-là à son tour, bien loin de pouvoir se fonder sur le seul principe de contradiction, ne saurait même se contenter du principe de causalité. Car toute induction établit une liaison entre deux de ces phénomènes que Leibniz eût appelés notables et qui sont les résultantes d’une foule de mouve-

  1. Par une méprise qui n’est pas fort étonnante ici, il rapporte constamment à la découverte dans les sciences physiques ce qui, chez Kant, est formellement restreint à la démonstration en mathématiques.