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envers eux à des devoirs de clientèle. Il fallait aller grossir la foule de leurs courtisans. Il fallait disputer leur attention et leurs regards aux petits gentilshommes et aux cadets d’aventure dont ils aimaient à se faire suivre pour lutter de prestige avec leurs ennemis et leurs rivaux. Il fallait se faire bien venir de leur livrée, se garder d’exciter la jalousie ardente et ombrageuse de leurs familiers, se confondre en complaisances pour obtenir enfin à son tour l’insigne avantage de les approcher librement. Quel abaissement et que d’humiliations pour échapper à la nécessité de gagner son pain ! Les âmes un peu fières en sentaient profondément l’amertume. L’immortel auteur de Macette, Mathurin Régnier, qui précisément, en ce temps-là, enrageait d’avoir à venir au Louvre, s’indigne quelque part, en son français bourgeois, d’être condamné « à faire le pied de grue » dans les antichambres des favoris,


Sans oser ni tousser, ni cracher, ni s’asseoir.

C’était pure gaucherie de la part du poète. Les friseurs de moustache et les étrangers dont il raille le mauvais jargon n’éprouvaient rien de son embarras. Ils avaient ce qui convenait en pareil lieu, l’effronterie élégante et l’entêtement à importuner. Quelques-uns, par surcroît, au rapport du poète, et Vanini était de ceux-là, avaient plus et mieux encore :


Ils entendaient le cours du ciel et des planètes[1].

On allait loin au Louvre avec cette science-là. L’astrologie, qui avait régenté le seizième siècle et dont les hautes tours des charmants hôtels d’Assézat et de Bernuy attestent encore à Toulouse la vogue et l’autorité, n’avait pas encore cessé d’imposer ses arrêts aux courtisans et jusqu’au roi même. Il n’y a pas un historien contemporain de Henri IV qui ne parle des ombres funestes dont elle avait peuplé son imagination. Le fameux Ruggieri vivait toujours, extrêmement vieux, extrêmement riche, et, quoique notoirement irréligieux, ménagé, sinon respecté. Tant la superstition est naturelle à ceux qui luttent habituellement avec la fortune, aux courtisans comme aux joueurs. Rendre son courage invulnérable en opposant aux fatalités de la chance la fatalité d’une nativité ou d’un talisman, c’est leur chimère, et, quand on leur offre le secret de le faire, ils ne savent pas marchander.

En se mettant à hanter les antichambres des grands seigneurs enclins à s’assurer par provision la jouissance de l’avenir, l’auteur des Astronomiques avait donc sur la plupart de ceux qui venaient

  1. Régnier : Satire 3.