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puissance son effet, et l’eftet, sa cause en acte. Cette grande et profonde distinction de la puissance et de l’acte tranche, selon nous, la difficulté. Tous les effets coexistent, peut-être éternellement, en tant que puissance ; mais le passage de la puissance à l’acte, qui est le changement, n’est pas une vaine illusion ; il est la vie même de la nature, telle du moins qu’il est donné à l’expérience de l’observer et à la raison de la comprendre.

Revenons maintenant au problème métaphysique de la cause première et absolue. Appliquant les formules qui précèdent, nous dirons que Dieu, en tant que cause du monde, est le monde en puissance, et que le monde, en tant qu’effet, est la cause première en acte. Est-ce là confondre Dieu et le monde ? Nullement, puisque la puissance et l’acte diffèrent spécifiquement. Est-ce diminuer la perfection divine, qui se trouverait ainsi rabaissée au niveau de la création ? Non encore, car Dieu, cause de l’univers, n’est pas, si je puis parler ainsi, Dieu tout entier ; il a, comme tel, toute la perfection tout l’être qu’il communique à son effet, mais il ne s’ensuit pas qu’il n’ait pas d’autres perfections incommunicables ; il a, par exemple, les attributs d’éternité, de nécessité, qui n’appartienent pas au monde. — Dira-t-on enfin que faire pénétrer en Dieu la puissance, c’est prendre le contre-pied de la doctrine d’Aristote, qui voit en lui l’acte pur ? — Mais on n’est pas tenu d’être aristotélicien jusqu’au bout. L’acte pur est la pensée de la pensée ; et cette pensée ignore le monde ; on ne prétend pas imposer un pareil dogme à un défenseur de l’argument cosmologique. Si Dieu est cause de l’univers, il est nécessaire qu’il y ait en lui quelque chose qui n’est pas encore l’univers et est capable de le devenir. Ce quelque chose, c’est ce que Platon appelait le monde intelligible ; c’est, pour Leibnitz, l’intelligence divine en tant qu’elle conçoit de toute éternité le meilleur des univers possibles. Et cet univers en puissance est même inférieur au monde créé, de cette infériorité métaphysique de la puissance par rapport à l’acte, du possible à l’égard du réel. Mais la puissance ne saurait s’actualiser toute seule ; sans une cause du mouvement, c’est-à-dire du changement, elle resterait éternellement puissance. Cette cause du mouvement, c’est ici l’acte créateur proprement dit faisant passer dans la sphère de la réalité objective l’univers, qui jusqu’alors existait subjectivement dans la pensée de Dieu. Cet acte, on peut le déclarer incompréhensible dans son essence ; mais il est certain, selon les exigences de la raison, que la pure intelligence n’a pu produire le monde ; il y faut une autre condition, un élément analogue à une volonté. Il en faut même une troisième : c’est à savoir un motif qui détermine cette volonté, motif