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fouillée. — la philosophie des idées-forces

imperfections accidentelles, ramenée à sa forme essentielle, qu’on peut la juger en elle-même et dans ses relations avec les autres doctrines. Vouloir apprécier un système d’après des erreurs qui ne lui sont pas nécessaires, c’est comme si l’on voulait apprécier la valeur d’un système de numération d’après les erreurs de calcul qui en sont la violation au lieu d’en être l’application. Par exemple, avons-nous dit ailleurs[1], la morale égoïste de Hobbes n’est pas dans toutes ses parties le vrai type de la morale égoïste. Si donc Victor Cousin croit réfuter la morale égoïste en montrant qu’elle aboutit en politique au despotisme absolu, parce que Hobbes en a tiré cette conclusion, il ne la réfute pas en réalité, car la conclusion n’est pas nécessaire. En effet, de ce que l’intérêt de la société est d’être liée par un lien aussi fort que possible (principe qu’on peut admettre), Hobbes conclut que l’intérêt de la société est le despotisme absolu ; or, même en partant du principe de Hobbes, l’intérêt, cette conséquence est fausse ; car le despotisme n’est pas la plus grande force qui puisse maintenir l’ordre social, et la liberté est ici plus puissante que la force matérielle. Il faut donc, pour ramener les doctrines à leur perfection typique, les rectifier et les compléter. On raisonne ainsi selon un système mieux que ses auteurs eux-mêmes, et on peut dire alors : Si vous soutenez le matérialisme, voilà nécessairement votre point de départ, votre point d’arrivée et les points intermédiaires ; si vous soutenez le spiritualisme, voici vos principes nécessaires et vos conséquences nécessaires. Les éléments essentiels des systèmes, plus ou moins déguisés sous les applications accessoires et les développements que leurs partisans en ont donnés, apparaissent ainsi dans leur structure vraie pour être soumis à une critique de fond.

Ce travail de construction logique, pour être complet, devrait embrasser toutes les solutions possibles des grands problèmes, toutes les combinaisons possibles des éléments fournis par la conscience ou par la nature, de manière à réaliser tous les types possibles de systèmes. Bien plus, nous voudrions que le philosophe construisît au besoin des systèmes tout à fait imaginaires, qui n’auraient pas la prétention d’embrasser la réalité entière, mais seulement de chercher les rapports de deux ou trois éléments séparés par abstraction. C’est ainsi que la mécanique abstrait d’abord une force qu’elle étudie à part, puis construit un système imaginaire de deux forces dont elle cherche la résultante, un autre de trois forces dont elle cherche également la résultante, et ainsi de

  1. Voir notre Histoire de la philosophie, Introduction.