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nolen. — les maîtres de kant

de Dieu (1763), à résumer, sous le nom de cosmogonie, les arguments qu’il avait déjà présentés en faveur de la formation mécanique du système du monde. Il s’attache surtout, dans son nouvel ouvrage, à établir que la cosmogonie mécanique de Newton ne fait tort qu’à la fausse ou étroite théologie. « Newton n’hésitait pas à considérer (la forme des corps célestes) comme l’effet des lois nécessaires du mécanisme, et ne craignait pas que cela lui fit perdre de vue le grand ordonnateur de toutes choses. Son illustre exemple condamne la présomption paresseuse de ceux qui se hâtent de faire appel à l’intervention directe du divin Architecte et croient que de telles explications conviennent à la philosophie[1] » Il faut se persuader, à l’exemple de Newton, que la matière et son mécanisme ne sont pas des preuves moins manifestes de l’action divine, que la finalité des organismes et de la vie humaine. Que l’ordre dans la nature soit rapporté à des lois universelles ou à des lois particulières, qu’il nous apparaisse comme nécessaire ou comme contingent, il a toujours sa raison dernière en Dieu. Newton ne dit-il pas, lui aussi, dans les Principia mathematica : « Dieu est partout présent et substantiellement. Tout se meut en lui, tout est contenu en lui ? » Rien n’est possible, en un mot, que par lui, et son empire comprend le règne de la matière comme celui des fins. Kant, à l’appui de sa thèse, analyse avec une rare profondeur le concept de la possibilité ou de l’essence des choses. « La possibilité interne, les essences des choses, voilà ce dont la suppression détruit toute intelligibilité. C’est en cela que consiste la marque propre de l’existence du principe de toutes les essences. On peut appeler cette réalité, qui est comme le principe de toute possibilité, la première cause réelle de la possibilité absolue ; le principe de contradiction en serait le premier principe logique. La conformité des choses à ce dernier constitue le formel de la possibilité ; mais la cause réelle en fournit à la pensée les données et la matière. » Ou, comme Kant dit encore plus énergiquement : « Ce qui supprime toute possibilité (c’est-à-dire l’impossibilité absolue) est absolument impossible : c’est là une proposition identique dans les termes[2]. »

Cette démonstration de l’existence divine, qui n’est pas sans doute la plus populaire, mais la seule rigoureuse, celle que toutes les autres supposent, nous permet d’admirer les harmonies idéales des mathématiques et l’ordre mécanique de la nature, comme des manifestations non moins éclatantes de la raison suprême, que les har-

  1. T. II, p. 164.
  2. T. II, p. 123.