Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
ANALYSES. — Der Ursprung der Sprache.

et le langage à la fois. En effet, toute l’activité intellectuelle de l’homme, la formation des idées principalement, dépend de la faculté de se souvenir et de se représenter sous forme synthétique un groupe de sensations. Au milieu de l’enchevêtrement des phénomènes psychiques, il fallait, pour tirer de leur engourdissement les pouvoirs de l’âme, que quelque chose fût tout d’abord distingué dans la conscience ; il fallait un moyen de fixer avec son caractère propre et pour toujours cette représentation ou intuition mentale. La conscience la plus haute n’est que la forme la plus élevée de ce pouvoir intuitif, manifesté par une infinité de représentations visuelles autour desquelles se groupent toute espèce de sensations. Le son n’exprime donc pas l’objet extérieur, mais la somme d’impressions sensibles diverses qu’il réveille dans l’esprit : il est l’unité idéale de ces impressions (p. 221, 222). Sans le langage, l’animal et l’enfant sentent d’une façon inconsciente ; chez l’homme, la réflexion muette est déjà un parler intérieur. En réalité, « ce que nous appelons penser est un processus du langage se développant dans les parties centrales d’une façon insensible par suite d’une habitude de plusieurs milliers d’ans, et qui, arrivé à un certain degré de force, éclate sur les organes (p. 225). » Penser, autrement dit, n’est que le côté intérieur d’un même processus dont le côté extérieur est le son.

Évolution du langage. — Malgré de fréquentes incohérences, trop vivement relevées par M. Steinthal, les théories particulières de Geiger reposent sur une conception métaphysique générale qui en fait l’unité. Ce qui frappe surtout Geiger, c’est l’impuissance des formules abstraites à saisir sous ses formes les plus précises la vie indéfinissable de l’être. Il pousse l’horreur des formules jusqu’à dire : Il n’y a point de lois de la réalité à déterminer ; il n’y a qu’une série indéfinie de changements dont l’homme fait l’histoire. C’est un hylozoïste : à ses yeux, la nature n’est que le devenir sans cesse différent de lui-même, et son évolution n’est que la tendance à la différenciation. On parle vainement de lois définies : c’est le hasard, ou, si vous voulez, le temps qui est le grand facteur des choses, des organismes. Telle chose arrive dans tel lieu, à tel moment donné, en vertu du concours indéfinissable des choses. Pour comprendre les corps organisés, une forme spécifique quelconque, même celle de la terre ou de notre système solaire, regardez en arrière de vous le vaste déroulement de l’être. C’est ce devenir sans cesse diversifié par l’accumulation des instants qui produit l’infinie variété des espèces, comme le bloc de glace suppose l’addition lente d’aiguilles de glace isolées à une foule d’autres. La succession des formes est une fonction de la successivité des instants : ce qui est mouvement à l’extérieur des choses, au dedans est sensation.

Le son et l’idée se développent, chacun de son côté et d’une façon indépendante. — L’évolution des sons articulés se fait par degrés insensibles, comme celle des plantes et des espèces animales : chaque son traverse une série de changements tout matériels, où l’analyse ne découvre aucune trace d’activité intellectuelle ni de raison. Le premier