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ANALYSES. — Der Ursprung der Sprache.

que cette étude des manifestations préhistoriques du langage a suscitées de toutes parts, les recherches de M. H. Steinthal gardent un caractère spécial d’originalité : l’auteur, philologue savant et zélé, traite ce curieux problème d’anthropologie générale au point de vue psychologique.

L’ouvrage comprend deux parties : d’abord une revue des principales théories autrefois admises par les linguistes ; en second lieu, l’examen critique des théories nouvelles provoquées par le mouvement d’idées contemporain.

I. Cette partie, qui a vieilli, rend hommage avant tout à Guillaume de Humboldt, le premier linguiste qui ait nettement indiqué la voie à suivre pour résoudre la question. Le xviiie siècle, en effet, eut le tort de regarder le langage comme une chose extérieure à l’esprit et qui était devenue par hasard un moyen d’expression de la pensée. De même que Condillac, Tiedemann déclarait, selon l’ancienne opinion de Démocrite, que les hommes durent primitivement remarquer leur faculté de proférer des sons, et l’usage que les animaux faisaient d’un pouvoir semblable ; ils s’essayèrent d’abord, disait-il, à prononcer des sons faciles, puis, le succès les encourageant, d’autres sons plus éloignés de tout rapport avec les choses. Nécessité et réflexion, voilà, pour Tiedemann, les facteurs du langage.

C’est Herder, cet esprit compréhensif et profond, qui, devançant les travaux modernes, chercha pour la première fois l’explication du langage humain dans les données de la psychologie comparative[1]. Le langage, avant d’être rationnel, est une suite du sentiment et de l’instinct. « Déjà, comme animal, l’homme possède le langage. Tous les états passifs intenses de son âme s’extériorisent immédiatement en cris, sons et accents sauvages inarticulés. » Même l’homme isolé gémit sous l’action de la douleur : tel Philoctète. C’est que les cris, comme l’a prouvé la physiologie moderne, sont un soulagement pour celui qui souffre. « On dirait qu’il respire plus librement en ouvrant à l’air sa gorge en feu étranglée par la souffrance ; il semble qu’il exhale une partie de sa douleur et qu’il puise du moins au sein de l’espace de nouvelles forces pour endurer son mal en remplissant de gémissements les vents sourds à ses plaintes. » L’animal possède de plus une merveilleuse faculté productive artistique, et, dans la sphère d’action commune, un obscur mais infaillible moyen de communication avec les individus de son espèce : c’est le langage animal (die Thiersprache). Ce langage mécanique et instinctif manque au contraire à l’homme, qui ne fait presque rien par instinct et dans l’état de nature ne parle pas. En dehors des cris réflexes de sa machine sensitive, « l’enfant nouveau-né est muet et n’a pas, comme tout animal, le pouvoir d’exprimer à sa manière par des sons ni ses représentations mentales ni

  1. Abhandlung über den Ursprung der Sprache, 1772.