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nolen. — les nouvelles philosophies en allemagne.

distinction à faire entre elles que celle de la raison théorique et de la raison pratique. Une volonté affranchie des exigences du déterminisme serait une volonté aussi inexplicable qu’ingouvernable, un pur non-sens pour l’entendement. Hartmann, de son côté, soutient que l’essence de la volonté n’est pas la conscience. La raison consciente, la réflexion peut juger de ce qui est utile, de ce qui est moralement bon : après que le juge a rendu ses arrêts, il appartient à la volonté inconsciente de s’y soumettre ou de les repousser. Et les penchants décident ici souverainement, tantôt à l’encontre, tantôt en faveur de la réflexion, toujours suivant la logique inflexible des instincts naturels, nullement d’après les règles étudiées de la réflexion. Nos philosophes ne s’accordent pas moins pour rejeter le dogme spiritualiste de l’immortalité de l’âme humaine. On conçoit aisément que le naturalisme aux tendances matérialistes de Dûhring, que le panthéisme de Hartmann ne voient dans l’individu qu’un accident éphémère de la vie universelle. Il semble que le subjectivisme souvent mystique de Lange aurait pu, comme celui de Kant, faire une part, si faible que l’on voudra, aux espérances transcendantes de l’âme religieuse. Le jugement sévère que porte Lange sur la doctrine kantienne des postulats de la raison pratique, la signification exclusivement poétique qu’il entend bien maintenir aux inspirations du sentiment religieux ne lui permettent pas d’admettre le dogme de l’immortalité.

Ces négations ou ces réserves sceptiques sur l’essence et la durée de l’âme humaine ne sont pas des nouveautés dans l’histoire de la pensée allemande. Ce qui est vraiment original. dans la psychologie de Hartmann, c’est l’admirable pénétration avec laquelle il nous découvre partout, sous l’activité de la pensée consciente, les processus subtils, complexes, décisifs de la vie inconsciente ; c’est l’heureux parti qu’il a su tirer des découvertes récentes sur les réflexes, sur la physiologie des sens, sur l’instinct, pour éclairer et étendre les vues profondes de Leibnitz touchant le rôle des petites perceptions. Sans doute la téléologie de l’auteur n’est pas toujours à l’abri de la critique : mais les erreurs de détail et de fait n’enlèvent rien à la valeur du principe nouveau. — La psychologie de Lange ne se recommande pas moins, à son tour, par la délicate analyse des diverses facultés et de leur rôle respectif. Nul n’a mieux montré la distinction, et en même temps les relations des facultés théoriques qui construisent la science et dominent la matière, et des facultés créatrices auxquelles sont dus la poésie, l’art, la religion, la métaphysique. On peut combattre le subjectivisme de l’auteur, sans pour cela rejeter ses distinctions psychologiques.