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C’est surtout dans l’étude de cette grande catégorie de sentiments que se déploient les qualités d’observation de M. Horwicz, dont une brève analyse ne peut donner une idée adéquate. On a déjà signalé aux lecteurs de la Revue sa théorie originale de l’amour-propre. Loin de le considérer comme un sentiment élémentaire, irréductible, d’où dériveraient la plupart des autres, il y voit (avec raison, selon nous) le produit et comme la résultante d’un grand nombre de sentiments plus simples, l’orgueil, la pudeur, le sentiment de l’honneur, le repentir, etc. Le prétendu égoïsme de l’enfant n’est que l’obéissance à des instincts inférieurs à ceux de l’adulte : l’amour-propre ne peut prendre naissance que lorsque la conscience du moi s’est développée : ignoti nulla cupido. « Ce qui est à nous ou provient de nous ne nous plaît que « parce que nous le connaissons mieux, le sentons et le vivons plus intimement » (p. 269).

La théorie de la pudeur mérite aussi une mention : il nous paraît inadmissible de ne faire consister la pudeur de l’homme que dans le respect de l’usage, mais il est très-juste de voir dans la pudeur féminine l’image d’un conflit entre la moralité et le désir. Voilà pourquoi, comme l’embarras, elle se traduit par la rougeur (p. 274). La sympathie en général est ramenée par l’auteur à deux éléments : la représentation du plaisir ou de la peine d’autrui (1o per consensum ; 2o per reproductionem seu phantasiam ; 3o per providentiara seu apperceptionem), et la conscience de l’identité d’essence de nous-mêmes et des autres hommes. Le précepte de l’Evangile : « Aimez les autres comme vous-même, » est en parfait accord avec la psychologie ; nous ne connaissons les autres hommes que comme d’autres nous-mêmes ; il faut bien que nous les aimions comme tels (p. 302 et suiv.).

Nous ferons des réserves sur la théorie générale de l’amour, véritable labyrinthe psychologique. L’amour, dit M. Horwicz, se fonde sur des sentiments de plaisir et est lui-même un sentiment de plaisir ; la haine repose sur le déplaisir et reste un déplaisir (p. 437). Ainsi ces deux sentiments seraient comme le bilan des diverses impressions que nous recevons de la part d’une personne : si cette somme rentre dans les limites de notre pouvoir sensible (Gefühlsvermögen), nous l’aimons ; trop forte ou trop faible, elle engendre l’aversion. Il faut remarquer que cette conception ne laisse guère de place pour l’indifférence ; ceux-là seuls nous sont vraiment indifférents que nous ne connaissons pas du tout. Dans les détails, nous retrouvons la subtilité d’analyse déjà signalée. Ainsi l’amour maternel est ramené à six sources réparties comme il suit :


sources sensuelles. 1o Souvenir des souffrances de la grossesse et de l’enfantement joint au sentiment de la délivrance[1] ;
2o Souvenir du plaisir de la conception ;
3o Plaisir de l’allaitement (délivrance d’un fardeau).

  1. L’auteur remarque que même une dent qui nous a fait beaucoup soufifrir nous devient précieuse quand on l’a arrachée.