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« Peut-on prouver qu’il en soit ainsi, que les objets qui nous entourent nous soient donnés séparément dans la perception en même temps que chaque série de sensations et de pensées ? Il est clair que ce n’est point là une proposition évidente par elle-même. D’abord cette théorie a contre elle l’analogie du cas de la personne, et, ensuite, nous nous représentons fort bien la possibilité de l’alternative opposée : nous nous représentons fort bien une série de sensations et de pensées que l’être sentant ne rapporterait pas au même moment à des objets ; peu importe qu’il reconnaisse plus tard que des objets étaient en réalité leur condition d’existence…

« Si donc nous voulons écarter toute supposition incertaine et ne pas regarder comme irréductible ce qui peut être analysé, nous ne devons pas admettre qu’il existe rien d’abord au delà d’une série de sensations et de pensées que leur sujet ne rapporte encore ni à des objets ni à lui-même… »

C’est là ce que nous appelons la conscience primitive : ne connaître que des séries de sensations et de pensées, antérieurement à toute distinction de sujet et d’objets. Ni les objets ni le sujet n’apparaissent jamais per se ; ils ne nous sont pas révélés par une faculté spéciale de la pensée ; si nous les connaissons jamais, c’est dans la plus étroite connexion avec ces états de conscience (sensations, pensées), que nous percevons d’abord dans leur pureté, si l’on peut ainsi dire, et dont ils sont les uns les objets, l’autre le sujet d’une manière ou de l’autre ; la perception d’objets indépendants et d’un sujet percevant s’ajoute à ces états primitifs, ou elle en est le développement : ces états sont les données connues et positives auxquelles nous les rapportons. Il y a donc un moment où il se produit en nous un changement, où l’état primitif de la conscience se modifie pour faire place à la conscience de soi, ou à la conscience des objets, ou à l’une et à l’autre à la fois.

En quoi consiste cette transformation de la conscience primitive ? Le voici : les pensées et les sensations, dès l’origine, ne sont pas seulement des pensées et des sensations, mais des groupes de pensées et de sensations constamment unies, c’est-à-dire « des choses », et la connexion qu’il y a entre elles leur appartient. Les états de conscience sont donc en même temps des choses. Ils ont ainsi un double aspect, et ce qui n’avait pas été distingué se distingue : la conscience et l’objet de la conscience. La perception des relations constantes qui existent entre nos sensations sans qu’elles cessent pour cela d’être des sensations, voilà ce qui décide cette transition de la conscience primitive à la conscience réfléchie. Celle-ci consiste essentiellement en cette analyse des états de conscience, qui permet