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analyses. — guyau. Morale d’Épicure.

acquiescer sans avoir de nouveau consulté toutes les pièces du procès.

Il n’est donc pas étonnant qu’Épicure, tel que M. Guyau nous le présente, paraisse, comme dit le Rapport cité plus haut, un Epicure renouvelé et singulièrement idéalisé. Pour nous, nous ne saurions nous en plaindre. Nous trouvons un véritable charme à voir cette vieille figure effacée et ternie reprendre son caractère et son lustre, et il ne nous déplaît pas de découvrir enfin un système sérieux et non une insignifiante rapsodie dans une des plus populaires doctrines de l’antiquité.

Peut-être, il est vrai, dans sa réaction contre l’indifférence ou l’hostilité de la vieille critique, M. Guyau a-t-il vu et fait voir un peu exclusivement les beaux côtés de l’épicurisme, jugeant sans doute « que la grande critique n’est pas celle des défauts, mais celle des beautés. » Peut-être même semble-t-il parfois le favoriser avec une certaine partialité au détriment de son éternel antagoniste, de ce stoïcisme sous lequel il range sommairement, et de gré ou de force, tout un monde de doctrines philosophiques, sociales et religieuses bien diverses. Mais deux choses me rassurent. D’abord, ce livre ne contient point d’appréciation définitive ; le dernier mot est réservé, qui doit mettre chaque détail en sa place et prononcer sur le tout. En attendant, peut-il être défendu à l’historien d’insister moins sur les vérités absentes que sur les vérités présentes, et doit-on lui savoir mauvais gré d’avoir rendu l’épicurisme plus intelligible et plus aimable, en l’assimilant à sa propre pensée si vivante et si sympathique ? Tout au contraire, cette largeur d’esprit compréhensive et conciliante, qui a permis ainsi à l’auteur de s’identifier avec le système, est à mes yeux un sûr garant que, s’il exposait à leur tour, comme il faut espérer qu’il le fera plus tard, les doctrines qui regardent de « l’autre côté » des choses, il pénétrerait aussi profondément dans leur vérité intime et la manifesterait avec autant de puissance et de chaleur.

II. L’ouvrage de M. Guyau peut se diviser en deux parties principales :

Les trois premiers livres sont consacrés à l’épicurisme ancien ; le quatrième et dernier, aux successeurs modernes d’Épicure.

La première partie traite successivement des plaisirs de la chair, des plaisirs de l’âme, et des vertus privées et publiques. Elle nous paraît surtout remarquable par l’art extrême et parfois subtil avec lequel l’auteur a retrouvé ou introduit dans la morale épicurienne une liaison insensible d’idées qui s’engendrent et se soutiennent les unes les autres, une évolution, une progression harmonique et continue. Il semble qu’on assiste aux efforts de la doctrine pour s’élever, à partir des principes les plus humbles et les plus étroits, vers des conséquences sans cesse plus hautes et plus vastes, où puissent entrer et tenir toutes les régions de la pensée et de la vie.

Ainsi Épicure, dont le génie positif et utilitaire vise avant tout à la pratique, se demande d’abord quel est le but naturel et rationnel de l’activité humaine, et il répond : C’est le plaisir. La nature en effet, avant tout raisonnement, nous entraine vers la jouissance, et la raison con-