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deux de ces traités : l’un, le Liber de anima, de 1552 ; l’autre, Initia doctrinæ physicæ dictata in academia Vitehergensi, de 1549. Le soin d’atténuer certaines théories et de ne pas maintenir la polémique au ton violent et acerbe où l’avait élevée Luther est visible ; la douceur bien connue du caractère personnel de l’auteur et l’influence de l’amitié d’Érasme s’y font sentir. Mais ce qui est plus manifeste encore, — à travers des glorifications incessantes de la Providence et d’innombrables indications de prétendues finalités, — c’est le souci passionné de préserver la foi des juniores, auxquels s’adresse à chaque paragraphe la rhétorique émue du prédicant ; c’est l’application à mettre d’accord avec le dogme un éclectisme effacé, beaucoup plus sobre de démonstrations que d’objurgations et d’apostrophes[1].

Une des accusations que ces réformateurs, Thomasius et Mélanchthon comme les autres, lançaient le plus volontiers contre l’Église dont ils venaient de se détacher, c’était d’avoir sacrifié au paganisme et, ce qui, d’après eux, revenait à peu près au même, à la nature. Chez nous, Montaigne et Rabelais faisaient à la théologie catholique des reproches tout opposés. Leur grande ambition était de désarmer tous les fanatismes en humiliant l’orgueil des dogmatistes intempérants, de dissiper les cauchemars de l’ascétisme, de réhabiliter la chair sacrifiée et humiliée par les mystiques, de ramener les hommes à la bonne loi naturelle, de nourrir enfin les esprits de ces maximes générales que le seul bon sens et la raison désintéressée avaient inspirées aux philosophes de toute école, aux moralistes de toute secte. Mais une telle propagande — tout en dépassant souvent le but — les séparait peut-être encore moins, et je crois qu’ils le sentaient eux-mêmes, des catholiques que des réformateurs. Ce luxe des beaux-arts que Luther et Calvin reprochaient tant à la papauté et à l’Italie, c’était, aux yeux de ces derniers, le fruit d’un amour insensé pour l’antiquité païenne. La philosophie grecque et latine devait donc être enveloppée dans cette condamnation de l’antiquité tout entière, et elle le fut en effet, en dépit de petites réticences dictées par les préférences personnelles de tel ou tel. « Deux servitudes, dit Thomasius, ont surtout causé les sottises des scolastiques, la servitude d’Aristote et la servitude du pape[2]. » À coup sûr,

  1. Un exemple entre plusieurs : « quam doctrinam brevitatis causa non recito, tantum oro juniores ut monstrosam illam opinionem detestentur. » Voilà une doctrine vite combattue, brevitatis causa.
  2. Cette phrase est extraite du morceau suivant, dont le titre est, à lui seul, caractéristique : De causis ineptiarum barbari ævi scholastici, præfatio habita disputationi de doctoribus scholasticis latinis, 1670. (Le premier des deux titres est celui de la præfatio prononcée par Thomasius ; le second est celui de la thèse soutenue par l’élève.)