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compayré. — psychologie de l'enfant

gréables, celles qui se manifestent le plus tôt et qui ont le moins besoin d’éducation sont les sensations du goût et les sensations tactiles : les premières, parce qu’elles correspondent au besoin essentiel de l’enfant, la nourriture ; les secondes, M. Pérez ne le remarque pas, parce qu’elles ont trouvé, avant la naissance même, l’occasion de s’exercer. Il en est autrement de la vue et de l’ouïe, qui pour agir attendent naturellement la présence de l’air et de la lumière.

Rien de plus facile à constater que la domination tyrannique exercée sur l’enfant par le besoin de la nourriture. Au bout de quelques mois sans doute, ses facultés naissantes, s’équilibrant, se feront contre-poids ; mais, à l’origine, l’enfant n’est qu’un petit monomaniaque de gourmandise, qui rapporte tout à l’unique action de teter et qui s’endort dès que son estomac est satisfait. « Ses premières amours sont celles d’un gastronome. C’est à travers les satisfactions de son appétit qu’il se met à connaître et à aimer successivement le sein de sa nourrice ou son propre biberon, et ensuite les mains, le visage, la voix, les yeux, le rire, les caresses, la personne toute entière de sa nourrice. » Ce n’est pas seulement chez les fous, c’est aussi chez les nourrissons, que l’on peut étudier les caractères d’une idée fixe.

C’est une question de savoir si l’enfant débute dans la vie par une impression de plaisir ou par une impression de peine. Dans son excellent livre du Plaisir et de la Douleur, M. Bouillier affirme, pour des raisons métaphysiques surtout, que le plaisir doit précéder, ne fût-ce que d’un instant insaisissable, l’apparition de la douleur. À supposer que cet ordre de préexistence et de succession soit la loi nécessaire de la sensibilité, il faut remarquer que cela n’engage en rien et ne détermine pas la nature de la première impression du nouveau-né. La question est en effet réglée dans la vie intra-utérine, et l’enfant n’attend pas de naître pour souffrir ou pour jouir, pour ressentir un vague bien-être ou d’infiniment petites douleurs.

M. Pérez a observé, comme tout le monde, chez les plus jeunes enfants, des impressions tactiles désagréables qui ont pour résultat « de les faire grimacer, crier, agiter les bras, remuer le corps, porter automatiquement les mains sur le visage. » Mais en revanche il prétend n’avoir pas trouvé trace de plaisir tactile chez les enfants âgés de moins de deux mois. L’observation est juste, mais l’auteur ne donne pas la raison de cette différence apparente. De ce que les impressions agréables produites par la chaude douceur du sein, par le contact d’une étoffe moelleuse ou d’une main caressante, ne se manifestent pas chez l’enfant, il ne faut pas en conclure qu’elles n’existent pas : c’est peut-être l’expression seule qui leur manque. On