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Hanslick (Éd.). Du Beau dans la musique. Essai de réforme de l’esthétique musicale, traduit de l’allemand sur la 5e édition par Ch. Bannelier. Paris, Brandus et Cie, 1877.

L’esthétique musicale a produit en Allemagne un assez grand nombre d’écrits plus ou moins remarquables, dont les auteurs appartiennent à diverses écoles. Le livre de M. Hanslick est un de ceux qui ont obtenu le plus légitime et le plus durable succès. Publié pour la première fois il y a plusieurs années, il a eu successivement cinq éditions. La dernière, qui a paru en 1876, vient d’être traduite en français par M. Ch. Bannelier, qui avait déjà inséré son travail par articles dans la Gazette musicale. C’est un véritable service qu’il a rendu à notre littérature et spécialement à la théorie de l’art musical, si peu étudiée et appréciée chez nous, du moins dans sa partie générale et philosophique. Nous n’avons qu’à louer les mérites du traducteur, l’exactitude sans servilité, la clarté, la précision que comporte le texte, l’élégance et la vivacité du style, tout ce qui fait lire avec aisance et sans ennui un ouvrage de ce genre, dû à une plume allemande.

Sans nous livrer à un examen détaillé de ce livre, nous voudrions le caractériser au moins d’une manière générale, indiquer le contenu et les points essentiels de la doctrine, en apprécier les mérites et les défauts au point de vue philosophique.

Le titre annonce une réforme dans l’esthétique musicale. En somme, c’est un écrit de polémique : il est dirigé contre l’école de théoriciens de la musique, à la tête de laquelle se placent MM. Liszt et Richard Wagner. La liste en est donnée à la fin du premier chapitre, intitulé l’Esthétique du sentiment, p. 21. La thèse que combat M. Hanslick est en effet l’opinion, généralement admise, que la musique a pour objet l’expression du sentiment. Il s’efforce de faire prévaloir la sienne, qui est celle-ci : « L’objet de la musique est exclusivement le beau musical. » Qu’entend-il par là ? On le verra plus loin. Le livre contient donc deux parties. l’une où l’auteur réfute ou prétend réfuter les raisons par lesquelles on a cherché à prouver que la musique exprime le sentiment. Dans la seconde, il expose sa propre théorie et ce qu’il appelle le beau musical. Passant de là aux effets de la musique, il examine en quoi cependant elle produit indirectement des sentiments et provoque des émotions dans l’âme humaine. Il ajoute des considérations sur les rapports de la musique avec la nature, et termine par une discussion sur ce qu’on peut appeler le fond et la forme de la musique.

Tel est le contenu de cet écrit, dont la polémique remplit même, dans la partie théorique, presque toutes les pages. L’auteur, qui se défend, très-vivement, d’être un homme de parti, ne peut être suspecté dans sa sincérité ; mais on ne peut que sourire quand on le voit se livrer à de véritables diatribes et à des apostrophes contre les « gens de sentiment » (p. 98). Il nous semble que, quand on se dit partisan de la contemplation pure des œuvres musicales, on devrait garder un peu plus de sérénité dans la critique.