Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
405
analyses. — hüber. Der Pessimismus

-même que nous tirons l’un et l’autre. Si la vie est abominable aux pessimistes, c’est qu’ils la voient d’un œil chagrin et l’enlaidissent à plaisir. Stuart Mill, dans un passage que ne cite pas M. Hüber, dit : « Ils mettent sur une musique sublime des paroles triviales ; » et Fichte, dans un de ses sonnets, allant plus au fond : « Si la voix divine qui devrait résonner en toi reste muette… alors l’harmonie extérieure, elle aussi, se taira. » La science, poursuit M. Hüber, n’entre pas dans notre âme par force : le bonheur, de même, ne saurait être un don ; il ne peut être que notre œuvre. Aristote déjà définissait le plaisir :.la fleur de l’acte. M. Hüber adopte cette pensée. Il en tire que le bonheur est une variable qui fluctue en fonction de noire énergie. Le travail physique même, dit-il, est une source de jouissances, pourvu qu’il ne soit point excessif. Or il cessera de l’être si, par les soins des hommes, un jour une industrie plus parfaite, une science sociale plus sage parviennent à l’alléger et à en mieux répartir les produits. Ainsi la vie matérielle peut devenir elle-même agréable. Mais l’apaisement des besoins et le bienêtre qui en est l’accompagnement ne sont que la condition d’un bonheur moins dépendant, celui que les pessimistes ont voulu parfois réduire à un désintéressement tout négatif : le bonheur de l’artiste, du savant, et ce bonheur qui est, chez tous les hommes, la condition des autres, et qui, chez les moins favorisés, les remplace : le contentement d’une bonne conscience. Cultivez l’idéal, et vous serez heureux.

Or, le culte de l’idéal va sans cesse en se développant et pénètre dans les âmes. Quoi qu’en disent les darwinistes, les idées inspiratrices de l’humanité ne sont pas de pures erreurs. Les erreurs ont cela en propre, de se combattre mutuellement : entre les idées, il y a harmonie. Tout en poursuivant notre idéal nouveau, nous ne méprisons pas ceux de nos anciens, nous ne les négligeons pas : nous avons encore beaucoup à apprendre dans la fréquentation d’un Platon et d’un Aristote, et sur plus d’un point l’idée romaine du droit peut nous servir de modèle. M. Hüber ne dit point expressément que toutes ces idées sont autant d’images, de plus en plus approchées, d’une idée suprême, dont les voiles tombent un à un par nos efforts. Mais ce n’est pas trop lui prêter que de reconnaître dans sa théorie du progrès la même pensée qui est au fond du platonisme : chez lui aussi, les idées forment une hiérarchie, et tirent tout ce qu’elles ont de perfection d’une idée souveraine et unique. Seulement cette hiérarchie à ses yeux serait une succession ; elle lui apparaîtrait comme déployée dans le temps et en voie de se produire.

Le bonheur croissant de l’humanité est donc assuré par son progrès vers l’idéal. Et comme cet idéal est à l’infini, il ne sera jamais épuisé, ni l’humanité ne sera jamais exposée au dégoût irrémédiable. Mais l’individu ? L’individu aujourd’hui souffre. Seulement il peut, s’il le veut, utiliser et par là purifier sa souffrance : il peut l’employer à préparer aux générations futures un avenir meilleur. Cette pensée, que d’autres