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séailles. — philosophes contemporains

nous et échappe à nos prises, est déjà un ensemble, un tout composé de parties, dont l’ordre seul explique les propriétés.

On objectera qu’il n’y a plus que le philosophe et l’ignorant pour s’étonner devant ces merveilles, où leur égoïsme naïf croit retrouver les procédés de l’art humain, où l’analyse scientifique ne voit que l’application des lois universelles et nécessaires d’un mécanisme aveugle. La physique et la chimie sont des chapitres qu’on a détachés momentanément de la mécanique ; les phénomènes qu’elles étudient se réduisent à des combinaisons spéciales de mouvement, où tout est fatal et passif. — C’est précisément parce que la science contemporaine, s’affranchissant de plus en plus des illusions de la représentation sensible, cherche à démontrer l’unité des forces physico-chimiques et à les ramener à un seul principe, le mouvement, que M. Ravaisson prétend retrouver, jusque dans ce qu’on appelle à tort le monde de la pure matière, le désir et la spontanéité. Les arguments de Zénon contre la possibilité du mouvement sont restés sans réponse, jusqu’au jour où Leibniz a montré qu’un corps qui se meut se distingue d’un corps en repos en ce qu’en chaque lieu qu’il occupe il tend à passer en un autre. Tout mouvement suppose donc effort et tendance. Mais ce sont là des idées métaphysiques que nous ne trouvons qu’en nous par la réflexion de l’âme sur elle-même, et ainsi c’est dans l’esprit que nous sommes amenés à chercher le principe du mécanisme. Si donc, en dernière analyse, tout se ramène dans l’univers infini des corps au mouvement, et que le mouvement ne nous soit intelligible que par sa direction, que par sa tendance vers un point déterminé, nous trouvons partout ce que nous avons découvert en nous-mêmes, une activité dont l’effort exprime une tendance et réalise un désir soulevé comme des profondeurs de l’être. « Les principes du mécanisme, dit Leibniz, ne sauraient être tirés de ce qui est purement passif, géométrique ou matériel… Pour justifier les règles dynamiques, il faut recourir à la métaphysique réelle et aux principes de convenance, qui affectant les âmes et qui n’ont pas moins d’exactitude que ceux des géomètres… La source du mécanisme est la force primitive ; autrement dit, les lois du mouvement selon lesquelles naissent de cette force les forces dérivées ou impétuosités découlent de la perception du bien et du mal ou de ce qui convient le mieux. » M. Ravaisson ajoute : « L’âme ainsi, du point de vue de la réflexion intérieure, se reconnaît, plus ou moins différente d’elle-même, jusqu’à ces extrêmes limites, où dans la dispersion de la matière toute unité semble s’évanouir et toute activité disparaître sous l’enchaînement des phénomènes. La nature est comme une réfraction ou dispersion de l’esprit. »