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apprentissage plus ou moins prolongé, nous exécutons machinalement et sans y penser tous nos mouvements acquis, marche, course, nage, équitation, maniement d’une arme, d’un outil, d’un instrument de musique. Dans tous ces cas, c’est sous la conduite de l’encéphale que la moelle a contracté des habitudes et reçu de l’éducation ; mais, séparée de l’encéphale, elle garde son éducation et conserve ses habitudes. Dans le décapité du docteur Robin, le mouvement exécuté par le bras et la main droite était un mouvement de défense qu’un nouveau-né ne sait pas encore faire. Dans le rat auquel Vulpian avait ôté tout l’encéphale moins la protubérance, le sursaut provoqué par un souffle brusque et strident comme celui des chats en colère, était aussi une réaction instituée par l’expérience. — Aussi, lorsque, dans le tronçon postérieur de grenouille, le pied gauche postérieur vient frotter le point irrité du dos, le ganglion de la moelle qui gouverne cette opération compliquée y est adapté de deux manières, d’abord par sa structure innée, ensuite par ses modifications acquises. La nature a tracé en lui tous les chemins qui peuvent être utiles ; parmi ces chemins, la pratique a aplani, achevé, abouché, isolé les plus utiles, et aujourd’hui le courant nerveux suit la voie que la nature jointe à la pratique lui a préparée.

Tel est le type réel du centre nerveux ; c’est celui-ci qu’il faut concevoir à la place du type réduit que, pour la commodité de l’exposition, on a figuré plus haut. Au lieu d’une seule cellule munie d’un seul nerf afférent et d’un seul nerf efférent, ce centre comprend plusieurs centaines ou plusieurs milliers de nerfs afférents, de nerfs efférents, de cellules et de nerfs intercellulaires, dans lesquels le courant nerveux se propage par plusieurs centaines et plusieurs milliers de chemins distincts et indépendants. Par suite, pour établir la communication entre un appareil si composé et les appareils analogues placés au-dessous et au-dessus de lui, il faut, non pas une ligne unique de nerfs et de cellules, comme dans le type réduit, mais des milliers et des myriades de cellules et de nerfs. C’est ce qu’indiquent le microscope, les vivisections et les observations pathologiques. — D’une part, les cellules et les fibres nerveuses sont dans la moelle épinière par centaines de mille, et leur tissu non interrompu fournit les moyens de communication nécessaires. D’autre part, le tissu fonctionne pour établir cette communication ; car, sitôt que sa continuité est rompue, la communication cesse entre le tronçon inférieur et le tronçon supérieur ; les impressions du premier n’arrivent plus au second ; les impulsions du second n’arrivent plus au premier. — On peut même désigner la portion du tissu dans laquelle les impressions sensitives se transforment en