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aucune limite au temps ni à l’espace, et nous ne pouvons dire ni qu’ils sont finis ni qu’ils sont infinis. M. Spencer a très-bien montré lui-même combien de telles affirmations étaient impossibles, les conceptions que nous avons de l’espace et du temps n’en sont pas moins positives et non négatives.

Ainsi les concepts de l’illimité et de l’infini n’ont rien d’absolu. L’infini est ce à quoi nous ne pouvons imaginer aucune limite[1] ; toute autre conception de l’infini est impossible, car nous pouvons bien, par la pensée, faire disparaître les limites, mais il est impossible et contradictoire de concevoir dans sa totalité un objet qui n’en a pas.

On voit que l’illimité ne se confond pas avec l’indivisible, car l’illimité est ce dont nous ne pouvons pas concevoir la limitation ; l’indivisible est ce que nous ne pouvons diviser. Il est évident que l’illimité ne peut être pris comme antithèse du divisible, car affirmer d’une chose que nous ne pouvons lui concevoir de limites, ce n’est pas dire qu’elle ne puisse être divisée.

On ne peut pas dire de l’infini que c’est un moins fini, comme l’absolu n’est qu’un moins relatif. Ici, la nature de l’antithèse change. Le concept négatif entraîne non pas seulement la négation de quelques-unes des limites, mais la négation de la concevabilité d’une limite quelconque, l’expérience ne nous les ayant jamais montrées. Ainsi les antithèses sont de deux sortes. On a :

1° Les antithèses dans lesquelles on peut attribuer plus ou moins au terme négatif la qualité du positif, par exemple la partie et le tout, l’hétérogène, le relatif et l’absolu, etc., etc. ;

2° Les antithèses dans lesquelles on ne peut pas attribuer au terme négatif la qualité du positif, comme le fini et l’infini.

Nous ne pouvons mettre l’antithèse du relatif et de l’absolu dans cette dernière série, car, bien loin de ne pouvoir attribuer aucune relation à certaines choses, nous sommes forcés au contraire d’en attribuer à tout ce que nous connaissons.

Faut-il admettre qu’il y ait une différence absolue entre les deux genres d’antithèses ? Je ne le pense pas. Dans le premier cas, on ne peut faire autrement que d’attribuer au terme négatif la qualité du terme positif, mais il est plus ou moins difficile de concevoir le terme négatif comme possédant cette qualité. Dans le second cas cette conception est impossible sans qu’aucune autre puisse la remplacer : on voit donc qu’il n’y a là qu’une différence de degré, surtout si l’on réfléchit que la pensée humaine a suffisamment varié dans

  1. L’infini ne se confond pas avec l’indéfini. L’infini est ce à quoi nous ne pouvons concevoir de limites ; l’indéfini est ce dont nous ne pouvons déterminer les limites, tout en sachant que ces limites existent ou peuvent exister.