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de Dieu un homme parfait, il n’a pas à concilier ses différents attributs entre eux et avec ceux des autres hommes.

Les contradictions des théistes sont facilitées par la manière dont on comprend en général en France la relativité de la connaissance. H. Spencer fonde cette doctrine sur deux faits principaux : 1° Tout problème résolu, nous conduit à la fin à un problème insoluble ; une explication nous met toujours en présence de l’inexpliqué ; comme le dit M. Littré, « dans toute science positive, on est arrivé à un fait, à un phénomène au delà duquel on n’a pu aller. » 2° La nature de notre conscience ne nous permet de connaître que par relations ; c’est par relations seulement que nous pouvons penser, nous ne pouvons donc avoir aucune idée d’une chose en soi ; nous ne pouvons connaître l’essence, la substance d’aucun objet. — M. Littré, dans son étude sur Auguste Comte et Stuart Mill, reproche aux philosophes anglais de ne tenir compte que de la deuxième de ces raisons. Je crois qu’il serait au moins aussi juste de reprocher aux philosophes français de ne tenir compte que de la première. En effet, M. Spencer les reconnaît toutes les deux ; au contraire, les contradictions des théistes tiennent en grande partie, je crois, à ce que l’on regarde la notion de Dieu comme imparfaite en quantité, non en qualité. Pour les théistes. Dieu est inconcevable, non dans sa nature intime, dans son essence, mais pour ainsi dire dans ses dimensions. D’après H. Spencer, au contraire, et je crois qu’il a raison en cela, on ne peut rien dire ni qualitativement ni quantitativement sur la nature de Dieu. Nous ne pouvons pas plus dire que Dieu est bon et juste que nous ne pouvons dire qu’il est injuste ou méchant. La bonté et la justice sont en effet des qualités qui, comme tous les attributs que nous pouvons imaginer, ne sont concevables que par relation, c’est-à-dire que : 1° elles supposent une relation entre un être et d’autres êtres ; 2° elles ne peuvent être conçues que comme relatives en ce sens que l’on est bon relativement à quelqu’un de moins bon, que l’on est juste relativement à quelqu’un de moins juste. Ces qualités sont doublement relatives ; elles ne peuvent pas être l’essence de l’absolu. Du moment, au reste, que nous pensons seulement par relation, nous ne pouvons nous faire aucune idée, je ne dirai pas juste, mais même approximative et imparfaite de l’absolu. En ne considérant que la première preuve de la relativité de notre connaissance, il est évident que l’on pourra croire non pas que l’on connaît l’absolu, mais que l’on a une idée vague et imparfaite, vraie cependant de sa nature, que l’on pourra s’approcher de plus en plus de la connaissance parfaite de Dieu, ce que la considération de la deuxième preuve nous démontre être impossible. Si la définition de Dieu que l’on