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encore d’autres exemples. L’estime simple, étant l’admiration pour un autre plus fort que nous, est un agrégat de cette admiration et du sentiment de quelque faiblesse auquel nous sommes en proie. Le mépris est le sentiment de discordance, le sentiment du laid, associé au sentiment de notre propre supériorité (une emotion of power). L’indignation est la colère associée au même sentiment de quelque force morale ou physique qui nous appartient. La pitié est un agrégat de la sympathie, en tant que c’est une émotion tendre dans son évolution idéale, du sentiment de la discordance à propos de l’accident fâcheux que nous voyons arriver à une autre personne et du sentiment de notre propre force, en tant que le bonheur est la conscience de la force. Il y a du reste outre cela dans ce sentiment des éléments volitionnels qui consistent en ce que nous désirons, sous l’influence de la sympathie, que le bonheur soit rendu à l’objet de notre tendresse et, sous l’influence du sentiment de l’harmonie rompue, que les choses rentrent dans leur état habituel. En tout cas la pitié est un composé de peines et de plaisirs, ce qui nous explique en partie le charme que tant de personnes trouvent dans la tragédie et l’aversion que d’autres personnes ont pour toutes les représentations tristes, car tout dépend de la répartition quantitative des éléments.

La reconnaissance est aussi un composé de trois sentiments différents : du sentiment de l’impuissance (de la faiblesse), du sentiment de l’harmonie rétablie et enfin de la tendresse pour la cause de notre réparation. C’est donc aussi un mélange de plaisir et de peine, et cela nous fait comprendre de nouveau, pourquoi les uns trouvent des plaisirs à être reconnaissants, car les deux derniers éléments peuvent être plus forts que la peine de l’impuissance, d’autres au nom de cette dernière ont de l’horreur pour ce sentiment et le croient humiliant. Et ainsi de suite.

Voilà donc les voies principales de l’intégration des sentiments. Cette dernière implique aussi leur différenciation, car en s’associant à différentes idées de causes objectives, les émotions, tant simples que composées, reçoivent chaque fois un cachet spécial de la part de leurs agents objectifs. Spinoza disait déjà avec raison « qu’autant il y a d’espèces d’objets qui nous affectent, autant il faut reconnaître d’espèces de joie, de tristesse et de désir, et en général de toutes les passions qui sont composées de celles-là. » Nous pouvons répéter la même chose pour les modes simples de la sensibilité que nous avons reconnus, et nous devons ajouter seulement qu’une pareille différenciation des sentiments, en tant qu’elle dépend des phénomènes de la réceptivité objective, peut avoir deux sources différentes :