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analyses. — fechner. Vorschule der Aesthetik.

Que faut-il attribuer à l’impression directe, puis aux associations d’idées ? On ne pourra jamais faire exactement cette analyse, parce que d’innombrables souvenirs — tous les souvenirs de notre vie — président à la formation de chaque impression associée, mais à des degrés divers d’intensité. Je frappe une maille d’un filet (la comparaison, si elle n’est pas neuve, est du moins juste et commode), le filet tout entier est agité, mais c’est la maille où le coup a été porté et les mailles d’alentour qui reçoivent la plus forte secousse. Chaque sensation frappe simultanément plusieurs points de notre filet intellectuel. Néanmoins, à chaque impression, on peut reconnaître l’agent principal qui l’a éveillée, et, à ce point de vue seul, l’analyser d’une manière satisfaisante.

Dans le domaine de l’esthétique, toute impression générale est malaisée à définir. Aussi est-il plus urgent, ici, de remonter, pour en avoir une idée nette, aux éléments variés qui la composent. Comment décrire l’impression complexe produite par une orange, une boule de bois, un globe d’or, si ce n’est par l’ensemble des idées diverses qui se sont rattachées à ces objets ? On peut la définir aussi par les idées que notre esprit en déduit. Toutes les idées qui concourent à former une impression générale peuvent inversement en être extraites, Ce qui permet, l’impression totale une fois donnée, de considérer l’objet sous ses aspects particuliers. C’est là un autre effet esthétique des objets, non moins important que celui qui naît de l’impression totale. Cette dernière est comme le grain de semence d’où peut se développer une plante semblable à celle qui l’a produit. Le premier, résultante de tous nos souvenirs, est la source où puise l’imagination. Et comme, en ces derniers temps, on a cherché à diverses reprises à expliquer la beauté en la rattachant à la fantaisie pure[1], il faudrait commencer, je crois, par étudier cette source plus exactement qu’on n’a fait jusqu’ici.

D’après l’opinion courante, l’imagination a le pouvoir absolu de rattacher les idées qu’il lui plaît à la vue d’un objet. À y regarder de plus près, elle ne crée rien : les impressions associées sont les matériaux qu’elle met en œuvre, le cercle où elle est forcée de se mouvoir. Mais les moments de ces impressions ne se suivent pas toujours d’une manière déterminée et s’accouplent diversement : elle a donc la liberté de les faire suivre, de les enchaîner de la façon la plus variée, de trouver de nouvelles combinaisons. Toutefois les éléments qui prédominent dans l’impression associée détermineront l’imagination avec le plus de force et lui imposeront sa direction. En voyant une orange, par exemple, on pensera plutôt à l’Italie, à l’Algérie, qu’à la Sibérie ou la Laponie ; il en est de même, si le mobile qui met l’imagination en activité, au lieu d’être extérieur, est intérieur. Ces mobiles externe ou interne agitent le réseau de nos associations d’idées (échos des impressions passées, conscientes d’abord, puis, tombées

  1. Comparer le chapitre où cette idée est réfutée, 2e  vol., XXXI, 155.