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question proposée. Ce n’est donc point dans le calcul que réside cet art qui nous fait découvrir, mais dans cette considération attentive des choses, où l’esprit cherche avant tout à s’en faire une idée, en essayant, par l’analyse proprement dite, de les décomposer en d’autre s plus simples, afin de les revoir ensuite, comme si elles étaient formées par la réunion de ces choses simples dont il a une pleine connaissance. Ce n’est pas que les choses soient composées de cette manière, mais c’est notre seule manière de les voir et de nous en faire une idée, et partant de les connaître. Ainsi notre vraie méthode n’est que cet heureux mélange de l’analyse et de la synthèse, où le calcul n’est employé que comme un instrument : instrument précieux et nécessaire sans doute, parce qu’il assure et facilite notre marche, mais qui n’a par lui-même aucune vertu propre, qui ne dirige point l’esprit, mais que l’esprit doit diriger comme tout autre instrument.

Ce qui a pu faire illusion à quelques esprits sur cette espèce de force qu’ils supposent aux formules de l’analyse, c’est qu’on en retire, avec assez de facilité, des vérités déjà connues et qu’on y a, pour ainsi dire, soi-même introduites ; et il semble alors que l’analyse nous donne ce qu’elle ne fait que nous rendre dans un autre langage. Quand un théorème est connu, on n’a qu’à l’exprimer par des équations : si le théorème est vrai, chacune d’elles ne peut manquer d’être exacte, aussi bien que les transformées qu’on en peut déduire ; et, si l’on arrive ainsi à quelque formule évidente ou bien établie d’ailleurs, on n’a qu’à prendre cette expression comme un point de départ, à revenir sur ses pas, et le calcul seul paraît avoir conduit comme de lui-même au théorème dont il s’agit. Mais c’est en cela que le lecteur est trompé. Ainsi, pour prendre un exemple dans la question même qui fait l’objet de ce Mémoire, il est bien clair qu’aujourd’hui rien ne serait plus aisé que de retrouver nos idées dans les expressions analytiques d’Euler ou de Lagrange, et même de les en dégager avec un air de facilité qui ferait croire que ces formules devaient les produire spontanément. Cependant, comme ces idées ont échappé jusqu’ici à tant de géomètres qui ont transformé ces formules de tant de manières, il faut convenir que cette analyse ne les donnait point, puisque, pour les y voir, il aura fallu attendre qu’un autre y parvînt par une voie toute différente.

Nous aurions bien d’autres réflexions à faire et de plus grands exemples à produire, si nous voulions montrer, d’une part, tout ce que l’esprit doit de lumière à cette méthode naturelle, telle que je l’ai définie plus haut et qui constitue notre véritable analyse, et, de l’autre, le peu de vérités nouvelles qu’on a su tirer de ces formules analytiques où l’on croit enfermer une question et quelquefois même