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tard avec quelles réserves, la célèbre théorie sur l’induction que J. S. Mill a donnée dans son Système de logique. Comme M. Mill, M. Venn admet que l’induction n’est fondée en aucune manière sur un principe a priori, quel qu’il soit ; elle se fonde sur l’expérience et sur l’expérience seule. C’est l’expérience qui nous montre d’abord dans la nature une infinie variété de phénomènes ; c’est encore l’expérience qui nous fait tout d’abord apercevoir, au milieu de cette variété, quelques successions constantes ; peu à peu, par le progrès de l’expérience, nous voyons les successions constantes s’étendre et se multiplier ; bientôt nous arrivons à concevoir que dans la nature le variable, le changeant, l’arbitraire n’est qu’une apparence ; nous nous formons peu à peu cette conviction que tous les phénomènes sont soumis aux lois d’un déterminisme inflexible. Comme M. Mill, M. Venn ne recule devant aucune des conséquences de cette doctrine. Il déclare que nous ne pouvons faire aucune application valable du principe de l’induction en dehors des limites de notre expérience.

M. Venn rejette, toujours comme M. Mill, la théorie vulgaire sur le raisonnement. Suivant cette théorie, toute inférence se fait du particulier au général ou du général au particulier. C’est le contraire qui est le vrai. Toute inférence se fait en réalité du particulier au particulier. Pourtant il ne faut pas conclure de là que les propositions générales et que les syllogismes qui en découlent soient inutiles. Ils sont non-seulement utiles, mais nécessaires, bien qu’ils ne servent qu’à garantir la validité d’inférences qui se font sans eux. De ce que Pierre et Paul sont morts je conclus que Jean mourra ; mais, si cette inférence est valable pour Jean, elle l’est pour André, c’est-à-dire pour tous les hommes. Je ne puis conclure valablement que Jean mourra si je ne puis conclure valablement que tous les hommes mourront. La proposition générale : « Tous les hommes sont mortels, » est donc la garantie de la validité de toutes les inférences particulières, telles que celle-ci : « Jean est mortel. »

On dit dans la logique ordinaire que la proposition : « Jean est mortel, » se tire de (from) la proposition générale : « Tous les hommes sont mortels. » C’est une illusion. La proposition particulière ne se tire pas de (from) la proposition générale, mais conformément à (according to) la proposition générale ; voilà la vérité.

Cela posé, il faut reconnaître que nous pouvons découvrir par induction deux espèces de propositions générales : les unes sont les propositions générales ordinaires, celles dont on fait usage dans la logique, par exemple : Tous les hommes sont mortels ; nous appellerons les autres propositions proportionnelles ou statistiques ; telle