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des aveugles-nés opérés a été plus instructive. Depuis Cheselden (1728), il n’y en aguère eu qu’une douzaine de cas, dont la moitié à peine pour des adultes. Malgré quelques contradictions de détail, les observations ont montré que l’opéré ne reconnaît ni la forme ni la distance des objets, et qu’ainsi les données de l’espace tactile ne sont pas celles de l’espace visuel. On sait que Locke, en s’appuyant sur le raisonnement, répondait à Molyneux qu’un aveugle-né recouvrant la vue ne distinguerait pas une sphère d’un cube : mais ce qui n’était qu’une vue de l’esprit, une conjecture probable, est devenu, grâce à l’observation objective, une affirmation vérifiée.

Lorsqu’on a ainsi établi que le toucher a sa manière propre de connaître les divers modes de l’étendue, on peut encore faire un pas en distinguant le contact proprement dit, des sensations de température et des sensations agréables ou douloureuses. Les faits montrent que chacune de ces trois formes de sensibilité peut être abolie, les autres restant intactes. On a constaté que certains malades qui perçoivent le plus léger contact, celui d’un souffle, d’une barbe de plume, ne sentent ni les piqûres ni la section de la peau. D’autres, très-sensibles à la douleur, ne peuvent pas cependant la localiser ; ils ne sentent pas le contact. Si leur jambe est pincée, la douleur est rapportée à la hanche et même à la jambe du côté opposé. Toute sensation de température peut également être abolie, les deux autres espèces de sensations restant intactes. — Le toucher peut donc être considéré comme un sens complexe ou plutôt comme la réunion de plusieurs sens dont l’un, celui qui nous importe, donne les contacts.

Ne voyons donc dans le toucher qu’un seul sens, celui du contact ; et considérons un autre élément d’une importance capitale : les mouvements. Les diverses parties de notre corps sont mobiles, et les plus mobiles sont les mieux douées pour le contact, par exemple la main. Il est à peine besoin de faire remarquer que la possibilité de mouvoir en tout sens l’organe tactile le rend apte à reconnaître la forme et les dimensions des objets. Le paralytique, qui conserve la sensibilité, mais qui a perdu la motilité, est impropre au toucher actif. Par toucher, la langue commune elle-même entend, outre le contact proprement dit, les mouvements concomitants. D’ailleurs, les mouvements, réflexes ou volontaires, ne servent pas seulement à percevoir les objets extérieurs ; ils nous donnent tout d’abord la connaissance des diverses parties de notre corps : celles qui se meuvent le plus facilement, comme le bout de la langue, les lèvres, les mains, possèdent aussi la faculté de localisation la plus fine.

Mais, dans la fonction tactile, les mouvements jouent un double rôle. Ils ne sont pas seulement un moyen précieux de varier et de