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pour la forme. Weber considéra d’abord comme unité d’espace chacun de ces cercles, c’est-à-dire chaque partie de la peau pourvue d’un seul filet nerveux. Plus tard, pour répondre à diverses difficultés soulevées par sa théorie, il admit que les cercles de sensations devaient être tels qu’il y eût plusieurs cercles entre deux points sentis comme distincts ; il expliquait ainsi la perception de l’intervalle senti entre les deux points. Il faisait de plus jouer un rôle considérable à l’expérience et à l’habitude, en admettant qu’elles diminuent le nombre des cercles nécessaires pour que l’intervalle fût perçu entre deux points du corps. Par là, il se rapprochait de la théorie empirique.

D’autres auteurs, entre autres Czermak et Meissner, ajoutèrent diverses modifications. Mais celui qui, dans ces derniers temps, a été le champion le plus intrépide de la théorie nativiste, tout en prétendant la concilier avec la théorie rivale, est Stumpf. Dans son Essai psychologique sur la notion d’espace[1], il soutient que nous avons une connaissance innée des trois dimensions. D’abord, dans tout contact, nous sentons nécessairement et immédiatement une certaine étendue ; nous localisons l’impression tactile dans un certain endroit, sans qu’il y ait besoin d’aucune autre condition que le contact lui-même. Nous avons ainsi la connaissance intuitive d’une surface touchée : telle est sa première affirmation ; mais il est surtout curieux de voir comment il établit sa thèse à l’égard de la troisième dimension. D’après lui, si la surface (longueur et largeur) est perçue immédiatement, la profondeur l’est aussi par là même. En effet, la surface que nous sentons lorsqu’un contact se produit sur quelque partie de notre corps doit être une surface plane ou à courbure ; il n’est pas possible d’en imaginer d’autres : et ces deux espèces de surface impliquent la troisième dimension, « car elles énoncent quelque chose qui a rapport à la profondeur, à savoir la présence ou l'absence d’une inclinaison à se recourber en dehors (Aushiegung), vers la profondeur. Que l’on n’objecte pas que cela n’est vrai que des surfaces courbes et que la surface plane au contraire est une négation de la profondeur, car un concept négatif contient tout ce que contient le concept positif, plus une négation » (p. 177). En s’appuyant sur ce curieux raisonnement, dont nous avons donné la traduction littérale, Stumpf soutient que le « nouveau-né », lorsqu’on entoure son corps de quelque lien, doit avoir l’idée d’une surface courbe et par suite des trois dimensions (p. 283). Il concède seulement que ce nouveau-né n’a pas toutes nos notions de rapports mathématiques ; mais sa représentation primordiale les contient virtuellement.

  1. Ueber den psychologischen Ursprung der Rumvorstellung. Leipzig, 1873.