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sance d’exégèse ni d’une autre inspiration, que le Christianisme raisonnable et l’Essai sur les miracles.

Mais ce qui nous intéresse par-dessus tout, c’est l’Essai sur l’entendement humain, c’est la philosophie proprement dite, l’œuvre spéculative de Locke : les documents récents, demandera-t-on, nous apprennent-ils là-dessus quelque chose de nouveau ? Je répondrai non sans hésiter à ceux qui y chercheraient des révélations imprévues. C’est sur ce point qu’il nous restait le moins à apprendre. Locke, qui a médité toute sa vie son Essai, qui l’a eu vingt ans sur le chantier, et ne l’a publié qu’à près de soixante ans, a mis là toute sa pensée philosophique ; et, comme il a donné lui-même quatre éditions[1] et surveillé deux traductions de cet ouvrage, il a eu tout le temps de le remanier, sans compter les occasions de le commenter dans la polémique. Toutefois rien n’est plus intéressant que d’assister année par année à ce long enfantement, de voir, par la Correspondance de Locke, ses tâtonnements, ses lenteurs voulues, ses scrupules, enfin de suivre d’une édition à l’autre les transformations de cette œuvre de patience, la plus élaborée qui fut jamais. Ce qui frappe avant tout, c’est la modestie et la très-rare honnêteté intellectuelle de l’auteur, qui pense pour lui-même, avec la plus parfaite candeur, sans mil désir d’occuper de lui le public. D’après les lettres à Molyneux, à Toynard, à Limborch, etc., il est clair que son unique souci était de se contenter lui-même et d’avoir l’assentiment de ses amis. Il prétendait si peu faire école, qu’on eut mille peines à le persuader de se faire imprimer.

On savait, par un passage de l’Épître au lecteur, comment la première idée de l’Essai vint à Locke dans une réunion d’amis. Tyrrel, qui était de cette réunion, nous apprend par une note (dans son exemplaire conservé au British Museum), que la discussion qui amena Locke à s’interroger sur l’origine et les bornes du savoir humain roulait sur « les principes de la morale et de la religion révélée ». — Il n’est pas sans intérêt de savoir que Shaftesbury, à son lit de mort, attribuait au chapitre x du livre IV le changement de ses opinions religieuses, ce qui prouve au moins que ce chapitre était écrit avant 1683. Il ne faudrait pourtant pas croire qu’il en fût de même du IVe livre tout entier, lequel, au contraire, bien que commencé avant le IIIe et même avant l’achèvement du IIe, fut incessamment augmenté et remanié. Ainsi le chapitre xix ne figu-

  1. La 1re  est du commencement de 1690 ; la 2e , de 1693 ; la 3e , de 1695 ; la 4e , très-importante, de 1700 ; la 5e , préparée par Locke, ne parut qu’après sa mort, en 1706. — La traduction latine., par Richard Burridge, fut commencée en 1695, achevée en 1701 ; la française, par Coste, parut en 1700.