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ANALYSES. — horwicz.Wesen und Aufgabe der Philosophie.

nos jours, par le seul fait de son développement intérieur, « une catégorie de la pensée scientifique » dans laquelle rentrent toutes les autres branches de connaissances physiques ou morales. Ne voit-on pas que la géographie soutient de même d’indissolubles rapports avec la minéralogie, la botanique, la zoologie, la linguistique, l’ethnologie, la science des littératures et des civilisations. Les sciences politiques ne sont pas moins étroitement liées aux sciences historiques, et sans le concours des sciences morales les sciences naturelles seraient privées de toute signification. Il faut donc de toute nécessité une science qui rassemble, interprète les résultats de toutes les autres, et établisse entre celles-ci un perpétuel et vivant échange.

Malheureusement, au mépris de ces profondes affinités naturelles, les sciences se morcellent chaque jour davantage. C’est en partie la conséquence de la division du travail, soit ; mais n’est-ce pas aussi l’effet d’une tendance trop chère à nos savants, qui s’efforcent de diviser pour régner, de faire la solitude autour de leurs doctrines individuelles, et n’y a-t-il pas là un indice grave d’une maladie des esprits ? On se laisse faire les uns les autres avec une déplorable complaisance ; chaque homme d’étude se crée sa langue technique sans souci du langage employé par autrui ; on ne combat plus d’adversaires, on ne se fait plus d’adeptes, parce qu’on ne se comprend plus. Ce qu’il y a de pis, c’est qu’au lieu d’inspirer à chacun la défiance de soi-même cette fâcheuse situation provoque au contraire l’éclosion de toutes les vanités naïves. Chaque savant spécial se façonne une philosophie fantaisiste, et méprise la philosophie générale, celle qui ne s’appuie pas uniquement sur l’expérience, sur des recherches dites « originales. » Aux naturalistes seuls appartient le privilège de prononcer en matière de science et de philosophie. De quel côté, demande M. Horwicz, se trouvent donc l’exagération, le préjugé et le paradoxe ? Il n’est que temps, en vérité, de restituer à la philosophie sa vraie place et sa haute signification.

Toutes les sciences tendent vers un même but suprême : connaître la véritable essence, le fond intime des choses, rerum cognoscere causas. Par des voies diverses, avec des explications souvent opposées, c’est cette connaissance qu’ont poursuivie les philosophes’anciens et modernes, de Thalès à Kant. La philosophie n’est donc pas une simple compilation des résultats obtenus dans chaque ordre de sciences particulières, et personne ne s’avisera de prendre le Cosmos de Humboldt pour un traité de philosophie. Cette science est autre chose que la généralisation des connaissances amassées à un moment donné. Réduite à ce rôle effacé, pourrait-on l’appeler encore une science ? Elle ne serait que le rendez-vous commun des sciences, le point central où convergeraient tous les efforts de l’esprit humain. Conception inexacte, insuffisante : à proprement parler, les derniers résultats des sciences, les vérités suprêmes de la cosmologie et de l’anthropologie, ne sont pas des notions philosophiques, mais simplement les matériaux que la philosophie doit mettre en œuvre, organiser, animer. « Plus profondément que ne fait cha-