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ANALYSES. — a. de quatrefages.l’Espèce humaine.

absolue, qu’on ait le droit de présenter comme caractère spécifique. — Bref, « chez tous les hommes, la nature fondamentale est identique ; seulement dans les divers groupes humains, cette nature fondamentale s’est modifiée sous l’influence du milieu et il s’est formé des aptitudes spéciales, constituant une sorte de nature acquise. » Quand une action perturbatrice porte sur ce qu’il y a de fondamental, elle produit les mêmes effets chez toutes les races ; quand elle s’exerce sur ce que chaque race a d’acquis et de spécial, elle produit d’une race à l’autre des effets différents.

Ce qui domine dans le dixième et dernier livre, c’est encore la même préoccupation d’établir l’identité fondamentale de la nature humaine ; si bien qu’en somme, l’ouvrage est d’un bout à l’autre un plaidoyer pour le monogénisme contre la doctrine opposée. En un sens, nous n’osons pas nous en plaindre, car l’œuvre doit incontestablement à cette unité d’intention une unité de composition et d’intérêt qui a son prix. Il n’est pas moins vrai que cette prédominance d’une même idée générale a ici un double inconvénient. En premier lieu, une telle insistance semble superflue et par conséquent monotone après tant de preuves solides accumulées dans les chapitres précédents ; ensuite, on ne peut s’empêcher de trouver que l’auteur s’est donné une tâche peu nouvelle, a fait de son immense savoir un usage trop facile, en consacrant trois longs chapitres à prouver que les caractères psychologiques essentiels sont au fond les mêmes dans toute l’espèce humaine. Nous savons bien que certains savants ont parfois paru le nier ; mais il y a longtemps que les philosophes ont répondu, par les arguments mêmes que donne ici M. de Quatrefages. À l’heure qu’il est on ne trouverait pas une école philosophique contestant la possibilité d’une psychologie humaine générale ; toutes reconnaissent donc un certain fonds mental commun à tous les hommes. Le désaccord ne commence que quand il s’agit de fixer l’étendue et les limites de ce fonds commun. Assurément il appartient à l’anthropologie de donner des lumières sur ce problème philosophique ; aussi avons-nous lu avec une curiosité particulière cette partie (principale pour nous) de l’ouvrage. Mais on n’y trouve rien qui soit de nature à faire avancer la question. Peut-être avions-nous tort d’attendre plus : car enfin M. de Quatrefages nous offre une multitude de faits intéressants, habilement groupés, reliés entre eux par des remarques justes ; et, comme il se trouve d’accord presque de tout point avec les philosophes qui, chez nous, ont écrit le plus récemment sur ces matières, c’est chose importante assurément que cet appui prêté à la philosophie par un savant dont la compétence et la parfaite bonne foi scientifique sont au-dessus de tout soupçon. Néanmoins, cet accord même diminue pour nous, on le conçoit, l’intérêt de ces pages, en leur enlevant à nos yeux toute nouveauté[1].

  1. Par exemple, tout ce que l’auteur écrit d’excellent sur l’universalité de certaines notions morales, sur les vertus (trop méconnues) des sauvages, sur les vices (trop facilement oubliés) qui persistent dans nos plus brillantes