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trefages montre que, à la vérité, une race qui s’est assise sous l’influence d’un certain milieu n’en saurait changer sans se modifier et par suite sans souffrir ; que la conquête d’une contrée lointaine tentée par une race immigrante ne s’achète qu’au prix de vies humaines ; que tels milieux sont particulièrement meurtriers pour telle race ; que par exemple les fièvres paludéennes sont dans certaines régions un redoutable obstacle à la colonisation européenne ; … mais qu’en somme et en dépit de tout, l’homme, à force de persévérance et d’industrie, grâce surtout à une lente adaptation de son organisme à de nouveaux milieux, peut à la longue s’acclimater partout. L’auteur multiplie les exemples historiques, et rappelle les lois bien connues de l’acclimatation des animaux. L’idée dominante de ce chapitre est que. le changement de milieu étant toujours d’autant moins dangereux qu’il est moins brusque, nos ancêtres, qui n’ont envahi le monde que pas à pas, ont pu se mettre graduellement en harmonie avec les milieux qu’ils rencontraient.

Maintenant, que pouvons-nous savoir de l’homme primitif, et comment devons-nous nous figurer la formation des races humaines ? — Si dénué qu’il soit à l’origine, l’homme nous apparaît pourtant doué tout d’abord de quelque industrie, tout au moins de certaines aptitudes qui le rendent supérieur à toute la création. L’homme miocène de la Beauce connaissait déjà le feu et taillait le silex : il savait attaquer et vaincre les grands mammifères ses contemporains, cuire leurs chairs pour s’en nourrir, se faire des vêtements de leurs peaux.

Pendant longtemps, l’humanité n’a pu être qu’homogène, comme l’est toute espèce végétale ou animale cantonnée dans une aire peu étendue. Deux causes ont dû produire les variations, présider à la formation des races : d’une part le milieu, de l’autre l’hérédité ; le milieu, agent de modification s’il varie, et de « stabilisation » s’il reste constant, en un mot régulateur suprême des organismes ; l’hérédité, « conservatrice par excellence, mais, par cela-même, agent de variation lorsqu’elle transmet et accumule des actions de milieu modificatrices. » L’homme, dès qu’il eut peuplé les contrées voisines de son centre d’apparition, commença « l’immense et multiple voyage qui date des temps tertiaires et qui dure encore aujourd’hui ; » il a donc subi tour à tour l’action de tous les climats, de tous les milieux que nous connaissons. Il a de plus traversé deux époques géologiques et en est à la troisième ; il a vu le mammouth et le rhinocéros prospérant en Sibérie au milieu d’une riche faune, puis chassés par le froid dans le midi de l’Europe ; c’est dire qu’il a subi l’action de milieux dont nous ne saurions nous faire une idée. Était-il donc possible qu’il conservât partout et toujours ses caractères primitifs ? Altérés de plus en plus en raison de la longueur du voyage et de la différence des milieux, les caractères originels durent peu à peu se perdre et faire place aux caractères distinctifs des différentes races. Longtemps sans doute le type humain primitif put se conserver intact dans la région où il a d’abord