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ANALYSES. — a. de quatrefages.l’Espèce humaine.

d’espèce, en effet, implique avant tout l’idée d’une très-grande ressemblance extérieure, la notion de filiation se joint toujours, même dans l’esprit le moins cultivé, à celle de ressemblance ; « et l’immense majorité des naturalistes ont compris qu’on ne pouvait les séparer. » — Mais les représentants d’un même type spécifique diffèrent entre eux. Lorsqu’un trait individuel s’exagère au-delà d’une certaine limite et constitue un caractère exceptionnel, distinguant nettement de tous leurs voisins les individus qui le présentent, ces individus constituent une variété. Par exemple, l’acacia sans épines obtenu par l’art du jardinier est une variété de l’acacia épineux. Le trait caractéristique de la variété demeure toujours individuel, doit toujours être obtenu à nouveau, en un mot n’est pas transmissible héréditairement : la graine de l’acacia sans épines ne donne jamais que l’acacia épineux. — Si, au contraire, les caractères propres à une variété deviennent héréditaires, c’est-à-dire se transmettent aux descendants du premier individu modifié, il se forme une race : la race est donc : « l’ensemble des individus semblables d’une même espèce, ayant reçu et transmettant par voie de génération sexuelle les caractères d’une variété primitive. » — Ainsi l’espèce est le point de départ ; au milieu des individus qui la composent apparaît la variété ; et quand les caractères de cette variété deviennent héréditaires, il se forme une race. Les races d’une même espèce peuvent différer beaucoup entre elles, être en grand nombre et de divers degrés : elles ne cessent jamais d’être à l’espèce, ce que les maîtresses branches, rameaux et ramuscules d’un arbre sont au tronc qui les porte.

Il s’agit donc de savoir si les groupes humains, différenciés par des caractères parfois très-apparents, sont « les branches d’un même arbre ou autant d’arbres d’essences diverses. » Or les variations et les différences observées chez l’homme de groupe à groupe sont de même nature que celles que l’on constate de race à race chez les animaux et les végétaux. La nature de ces différences ne peut donc pas être invoquée en faveur de la doctrine qui fait de ces groupes autant d’espèces.

Mais ce n’est pas seulement la nature, c’est aussi l’étendue des variations que nous devons considérer. — Eh bien ! on peut démontrer que les limites de variation entre les races extrêmes d’une même espèce sont presque toujours plus étendues chez les végétaux et les animaux que chez l’homme. Il ne faut donc pas dire qu’il y a trop de différence entre le Nègre et le Blanc (ces deux types extrêmes de la série humaine) pour qu’ils puissent être de même espèce. Il y a, au contraire, un parfait entrecroisement des caractères des différents groupes, (par exemple en ce qui concerne la taille), entrecroisement dont on ne voit l’analogue dans le règne animal ou dans le règne végétal qu’entre races d’une même espèce, jamais entre espèces différentes. Par conséquent il est au moins inutile de compter plusieurs espèces humaines : à s’en tenir aux considérations morphologiques qu’affectionnent les polygénistes, on trouve que les faits s’interprètent éga-