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le plus manifestement impossible d’enfermer l’étude dans une science unique ; parce que l’homme étant pour lui-même le centre de l’univers, un microcosme, comme on a dit, la science de tout l’homme serait en réalité la science de tout. Or une science qui n’a pas un objet déterminé, qui ne sait pas circonscrire son terrain, n’est pas une science.

Nous regrettons vivement que M. de Quatrefages dont l’esprit philosophique se manifeste souvent dans ce livre, n’ait pas cru devoir s’arrêter à cette question, et l’ait provoquée comme à son insu. — N’insistons pas cependant outre mesure. Cette conviction personnelle de notre auteur, (que l’espèce humaine forme un règne,) n’a pas dans son ouvrage les conséquences qu’on eût pu craindre. Comme elle ne lui est dictée, il le déclare, par aucune prévention ni préoccupation étrangère à la science, elle n’altère en rien, il faut le reconnaître, le caractère scrupuleusement scientifique de sa méthode.

En effet, grâce aux rapports qui enchaînent les règnes entre eux, l’homme a beau constituer un règne à part, il n’en est pas moins soumis à toutes les lois qui régissent tous les autres êtres : lois de la gravitation, lois physico-chimiques, lois de la vie, lois de la physiologie animale. De là découle la méthode de l’anthropologie : « l’homme étant avant tout un être organisé et vivant, le siège de phénomènes communs aux animaux et aux végétaux, ce qui aura été reconnu vrai pour les autres êtres organisés, ne peut qu’être vrai pour l’homme. » C’est donc à la Botanique et à la Zoologie qu’on doit demander en toute occasion « les quantités connues » nécessaires pour « trouver les inconnues » dans les problèmes anthropologiques. « Toutes les fois qu’il y a doute au sujet de la nature ou de la signification d’un phénomène observé chez l’homme, il faut examiner chez les animaux, chez les végétaux eux-mêmes, les phénomènes correspondants ; » et tenir pour certain, jusqu’à preuve du contraire, que ce qui est vrai d’eux l’est aussi de nous.

Existe-t-il une ou plusieurs espèces humaines, telle est la première question qui se pose quand on a déterminé la place qui revient à l’homme dans le cadre général de l’univers. Les Polygénistes regardent comme fondamentales les différences de taille, de traits, de coloration, qui distinguent les groupes humains dans les diverses contrées du globe : pour eux il existe plusieurs espèces humaines. Les Monogénistes ne voient dans ces différences que le résultat de conditions accidentelles ayant modifié en divers’sens un type primitif : il n’y a pour eux qu’une seule espèce d’hommes, présentant aujourd’hui plusieurs races toutes dérivées d’un tronc commun. — M. de Quatrefages sest depuis longtemps rangé dans le camp des monogénistes.

Il est clair que tout le débat porte sur les mots espèce et race. Voici comment l’auteur fixe le sens de ces termes. « Pour moi, dit-il, l’espèce est l’ensemble des individus plus ou moins semblables entre eux qui peuvent être regardés comme descendus d’une paire primitive unique, par une succession ininterrompue et naturelle de familles. » Quoique l’idée