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rope ! Comme il était bien préparé et armé pour devenir une espèce de Sainte-Beuve dans cette spécialité ! Ne se rattachant à aucune école, éclectique, sincère et consciencieux, sa critique ne pouvait manquer d’être pénétrante. Avec sa vivacité toute française il saisit rapidement le côté défectueux d’une doctrine, et le met habilement en lumière ; il ne se borne pas souvent à une simple négation, il remplace ce qu’il détruit. Certes il ne réussit pas toujours, mais ses remarques ne sont jamais dépourvues d’un fond de vérité. Donnons-en un exemple. À l’occasion du livre de Darwin sur l’Expression des émotions[1], il recherche l’origine des sifflets et des applaudissements, et critique avec beaucoup de justesse le principe de l’antithèse mis en avant par Darwin[2] ; il complète aussi le philosophe anglais dans la cause qu’il assigne à la contagion des émotions, par exemple, du sourire ou du bâillement. D’après Dumont, de même que les mouvements du corps et notamment du visage sont liés, aux idées et aux sentiments qu’ils expriment, de même l’idée de ces idées et de ces sentiments, provoque dans le corps des mouvements corrélatifs et s’accompagne du geste propre à les manifester. C’est ainsi que l’accent triste de l’orateur prédispose à la tristesse, quand même on ne comprendrait pas la langue dont il se sert, qu’un portrait qui sourit vous fait sourire, qu’une personne qui bâille fait bâiller toute une société. Il y a donc un hen établi par l’habitude entre deux termes différents de manière que l’un d’eux suscite nécessairement l’autre[3].

Aucun ordre de connaissance, — sauf peut-être les mathématiques, — ne lui semblait étranger, et ses ouvrages sont parsemés de remarques sur la zoologie, la botanique, la physiologie, prouvant qu’il se tenait au courant du progrès des sciences biologiques. Son érudition était très-grande. Quand il expose une théorie, il reprend les choses de haut, résume les travaux antérieurs sur la question, en remontant, s’il le faut, jusque dans l’antiquité latine et grecque. Son chapitre sur l’histoire du transformisme est un petit chefd’œuvre. On pourrait presque en dire autant de sa classification un peu artificielle, mais à coup sûr ingénieuse, des vues émises avant lui sur le plaisir et la douleur.

Son style avait les qualités de son esprit, clair, net et ferme quand il parlait de science, chaud, riche et coloré lorsqu’il traitait des

  1. Revue scientifique, 3 mai 1873, et Théorie de la sensib., II, 6.
  2. Cependant l’explication que Dumont donne la différence des attitudes du chat et du chien quand on les caresse, me semble un peu forcée. — Théorie, etc., p. 233 et suiv.
  3. Théorie, etc., p. 251.