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en Angleterre et en Allemagne. C’est ainsi qu’il fit le premier connaître en France la Philosophie de l’inconscient de Hartmann et même celle de son maître Schopenhauer qui était encore presque ignoré parmi nous, puis les livres de Hodgson, de Georges Lewes, etc. Ses articles sur l’Histoire naturelle de la création, de Haeckel, furent réunis en un volume intitulé la Théorie de l’évolution en Allemagne (Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1873). C’est là également que parurent ses diverses études sur le plaisir et la douleur avant de servir de base à son livre sur la Théorie scientifique de la sensibilité (Bibliothèque scientifique internationale, 1875). Traduit en allemand et en italien, c’était la première pierre d’une grande synthèse philosophique que la mort l’a empêché d’élever, mais dont les matériaux épars se trouvent dans une foule d’articles inédits ; plusieurs d’entre eux sont même terminés et pourraient paraître avec grand honneur pour sa mémoire, carrière bien courte, et, comme on le voit, bien remplie. Il ne laisse après lui qu’un monument inachevé. Il est cependant possible à l’aide des parties ébauchées, sinon de retracer avec certitude l’ensemble des grandes lignes, du moins d’en reproduire quelques traits généraux, et d’assigner ainsi à l’œuvre son rang dans la science contemporaine.

Occupons-nous d’abord des Causes du rire et du Sentiment du gracieux, ses deux premières publications philosophiques. J’ai dit qu’elles n’avaient pas été placées tout de suite au rang qu’elles méritaient. Je me rappelle à ce propos qu’en lisant, lors de sa publication (septembre 1863), l’article assez bienveillant que M. Charles Lévêque a consacré dans la Revue des Deux-Mondes à ces deux petits traités, principalement au premier, qu’alors je n’avais pas lus, j’étais plutôt tenté de donner raison au « jeune esthéticien » qu’à son critique.

Le caractère fondamental que Dumont attribue au risible, c’est de provoquer en même temps dans l’esprit deux jugements contradictoires. L’homme qui s’apprête à franchir un fossé et qui tombe dans la boue vous fait rire, parce que nous associons dans l’esprit l’idée de ses efforts en vue du but à atteindre et celle du résultat pitoyable auquel il aboutit. Analysez, en effet, le risible dans les arts qui l’admettent, vous rencontrez cet élément contradictoire : ici c’est un portrait affreux d’une jolie femme, là une maison où l’architecte oublie de mettre l’escalier, là encore un chanteur pris tout à coup d’un hoquet au milieu d’un morceau pathétique ; et il n’y a là aucune atteinte au principe de contradiction[1] comme le croit M. Lé-

  1. Voir Théorie scient, de la sensibilité, p. 209 et suiv.