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raison pratique, c’est-à-dire de la raison libre. Quoi qu’il en soit, la morale n’a pas à invoquer, pour se fonder, ces hypothèses qui appartiennent surtout à l’ordre religieux : jusqu’à un certain point, elle peut y trouver un appui, mais c’est elle surtout qui fait leur force et leur valeur[1].


XII

Morale et histoire.

La philosophie morale de M. Renouvier soulève tout un nouveau monde de problèmes, et des plus intéressants, surtout si nous pouvions discuter avec lui, et selon sa méthode, les questions qui se rattachent au droit personnel, au droit domestique, au droit économique, au droit politique, au droit international. Dans cet ordre d’idées, les solutions ont presque autant d’importance que les principes. Mais c’est aux principes, et aux plus généraux, que doit se restreindre mon exposition. D’ailleurs, cette partie de l’œuvre de notre auteur est celle qui est la plus connue, c’est celle aussi qu’on peut lire le plus facilement sans préparation aucune ; il me suffira donc ici d’en présenter, à grands traits, une très-rapide esquisse.

Je dois commencer par déclarer que je connais peu d’ouvrages aussi fortement et aussi virilement conçus que la Science de la morale. Je ne crois pas qu’aucun philosophe ait posé aussi nettement et aussi judicieusement que M. Renouvier le problème de la morale appliquée, ou, pour mieux dire, de la seule morale applicable que comporte le milieu où il est*donné à la liberté humaine de s’exercer. La plupart des moralistes se placent à un point de vue purement rationnel et formel, sans tenir compte des nécessités historiques qui empêchent le juste, par suite de l’injustice commune, d’appliquer les règles dans toute leur rigueur : d’autres, tombant dans un excès contraire, prennent l’histoire pour base unique de la moralité et arrivent à tout excuser dans leurs explications fatalistes. Soit qu’on élève l’idéal trop haut, soit qu’on l’efface et qu’on le supprime au nom des faits accomplis, les préceptes moraux perdent toute leur

  1. L’analyse des thèses du probable est reprise et continuée par M. Renouvier dans le 3e essai, où il discute la monadologie, la théorie atomique, la question du vide et du mouvement, les hypothèses de cosmogonie astronomique, la génération spontanée, l’unité des espèces, l’unité du genre humain, etc., etc. Cet ouvrage, d’ailleurs très-intéressant, ajoute peu de chose à la connaissance et à l’interprétation des principes fondamentaux du nouveau criticisme.