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affirmations, et c’est pourquoi on ne peut pas la nier sans, nier toute vérité, et, par suite, sans nier sa propre négation. Nous avons montré : en premier lieu, qu’elle n’était pas en contradiction avec le principe de causalité ; en second lieu, qu’elle s’accorde on ne peut mieux avec l’analyse des faits psychologiques et moraux. Concluons maintenant, en enfermant les partisans de la nécessité dans le dilemme de Lequier.

Le voici. Ou c’est la nécessité qui est vraie, ou c’est la liberté. Dans la première hypothèse, il se peut que j’affirme la nécessité, il se peut que j’affirme la liberté, mais ce sera toujours nécessairement que j’affirmerai. Or si j’affirme nécessairement la vérité, je serai toujours hors d’état d’en garantir la réalité, puisque, d’autre part, l’affirmation contraire est également nécessaire. Si j’affirme nécessairement la liberté, je trouve dans le parti que je prends, outre l’avantage d’une affirmation nécessaire, égal de part et d’autre, cet autre avantage de me trouver d’accord avec les apparences psychologiques et de comprendre la réalité du devoir. Dans la seconde hypothèse, à savoir dans celle où c’est la liberté qui est vraie, si j’affirme la nécessité, je l’affirme librement et je n’échappe pas au doute. Mais si j’affirme librement la liberté, la liberté étant vraie, je suis à la fois dans le vrai par hypothèse, et de plus j’ai les mérites et je recueille les avantages de mon affirmation libre. Au fond, la nécessité a pour conséquence forcée le scepticisme : si je veux affirmer quoi que ce soit, il faut que je commence par affirmer ma liberté d’affirmation, mon pouvoir d’être l’auteur de ma certitude : c’est là et non ailleurs qu’est la première vérité. Conclusion : « La formule de la science : faire ; non pas devenir, mais faire, et en faisant, se faire. » C’est un postulat, oui, mais qui résout cette question mathématique d’obtenir pour un minimum de créance, — y a-t-il croyance plus naturelle et plus instinctive que celle de la liberté ? — un maximum de conséquences pratiques et théoriques, puisque, grâce à cet’acte de foi, nous échappons au scepticisme, nous retrouvons la science, et comprenons le devoir.

M. Renouvier, en reprenant cette forte et solide argumentation, n’y ajoute rien d’essentiel ; mais il’complète l’œuvre, restée inachevée, de Lequier, en exposant longuement ce qu’un traité de la certitude peut renfermer de plus général sur l’affirmation extra-scientifique en tant qu’y interviennent le témoignage, l’exemple, la tradition et l’habitude en face de la liberté personnelle[1]. Enfin il passe à ce qu’il appelle les probabilités morales, c’est-à-dire à ces

  1. Psychologie, III, 77.