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l’école anglaise se rencontre avec le criticisme kantien et Stuart Mill, quoique par une autre voie, arrive aux mêmes résultats que l’auteur de la Critique de la raison pure : ces conclusions ne diffèrent pas essentiellement de celles de la métaphysique dogmatique.

M. Renouvier fait observer que la théorie des causes transitives, conçues à la manière de substances actives distinctes des phénomènes, a été renversée par Descartes. Ce philosophe, en établissant une complète opposition entre l’étendue et la pensée, a substitué le problème de la corrélation à celui de la communication des substances. Leibniz, en partant de cette donnée, qu’il a si heureusement corrigée, a établi entre les monades une harmonie universelle qui serait le dernier mot de la philosophie, selon M. Renouvier, si cette profonde et admirable doctrine n’était gâtée : 1° par l’idée que les monades sont des substances, quand elles ne devraient être que des consciences ; 2° par l’hypothèse fataliste d’un Dieu préordonnateur ; 3° par le principe non moins liberticide de la raison suffisante. Amendée sur ces trois points, la théorie de Leibniz est la vérité même, car, « on doit dire qu’il y a relation de cause à effet, lorsque, dans une série de phénomènes sujets au devenir, deux groupes sont envisagés de telle sorte que, le premier étant d’abord posé en acte et le second représenté en puissance dans le premier, le second devienne actuellement[1]. »

Remarquons ici que la représentation de la cause nous donne de certains phénomènes comme fonctions de ceux qui, d’ailleurs, en diffèrent le plus (ainsi la pensée et la contraction musculaire), et que, « là même où les faits sont du même ordre, la causalité ne résulte pas logiquement des rapports posés indépendamment d’elle ; » par exemple, dans le fait de la communication du mouvement entre les corps bruts, l’acte d’un premier mobile nous est représenté comme lié par la force à l’acte d’un second, au moment du choc ; et pourtant, si l’état d’un corps libre et en repos, atteint par un corps en mouvement, n’éprouvait un jour aucune modification, ce phénomène n’impliquerait pas plus contradiction que le phénomène inverse, observé continuellement : seulement l’expérience se démentirait[2]. L’identité ou la différence n’importent donc nullement. Il y a des phénomènes en rapport, voilà tout, sans qu’il faille admettre des patients et des agents et une certaine similitude de nature entre les patients et les agents, comme le voulaient les philosophes de l’antiquité et du moyen-âge.

  1. Logique générale, II, 280.
  2. Id., 284.