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Paul tannery. — la géométrie imaginaire

Après ces citations, il est évidemment inutile d’en faire d’autres sur les remarques analogues énoncées dans la poursuite de la classification. Elles appelleraient d’ailleurs, au point de vue objectif, de très-sérieuses réserves ; le singulier dilemme de la première n’est en effet convaincant que subjectivement parlant et dans ce cas la pensée reste obscure. C’est qu’à priori nous ne savons rien d’aucune réalité extérieure, ni si elle est continue, ni si elle est discontinue. Avant tout nous ne devons pas oublier que le principe des rapports métriques des variétés discrètes elles-mêmes, l’identité de leurs éléments, n’est rien autre chose qu’une hypothèse purement subjective.

Quant à la seconde citation, il semble aussi que l’hypothèse émise en dernier lieu par Riemann est passablement gratuite et que du jour où l’on cesserait de faire réussir à l’infini, comme dit Pascal, les raisons du fini, le problème de l’explication des phénomènes, loin de se simplifier, se compliquerait extraordinairement.

Il n’en ressort pas moins que la philosophie de l’à priori rencontre en fait dans Riemann, un adversaire acharné, tandis qu’au premier abord, elle aurait pu espérer en lui un allié. C’est qu’un mathématicien peut déclarer qu’il rejette toute notion concrète et ne s’occuper que de l’abstrait pour acquérir ainsi plus d’indépendance dans ses raisonnements ; il n’en résulte nullement pour cela qu’il nie le concret ; il se contente de le laisser à d’autres sciences, à l’astronomie et à la physique. Il sera au contraire le premier à reconnaître que l’origine de toutes les notions abstraites est empirique ; s’il admet que toute notion n’impliquant pas contradiction en elle-même est subjectivement vraie, il est d’autant plus obligé de distinguer entre le vrai subjectif et le possible objectif ; et c’est là la différence radicale qui existe entre la science mathématique et les constructions de la métaphysique idéaliste.

VIII

Résumons-nous brièvement et concluons :

Nous avons essayé de donner quelques notions exactes sur un certain nombre de concepts idéaux, qu’on appelle géométriques parce qu’ils sont logiquement voisins des concepts empiriques dont s’occupe la géométrie et qui y sont qualifiés de réels. Nous avons essayé de montrer que la possibilité objective n’était nullement établie pour ces concepts idéaux ; mais que s’ils sont contradictoires aux inductions de l’expérience, l’exactitude de celle-ci ne pouvant être parfaite, leur impossibilité objective ne peut non plus être affirmée.