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Paul Tannery.la géométrie imaginaire.

qui peuvent avoir une différence analytique, mais qui, absolument parlant, n’en ont pas moins une valeur égale. »

Mais il y a au moins aussi entre ces deux notions, la différence que nous pouvons, plus ou moins grossièrement, cela importe peu, objectiver l’une et non l’autre. Quand nous disons : « La surface de cette bille est sphérique, » nous parlons inexactement, je le veux bien, en appliquant à un corps extérieur une notion en grande partie subjective. Mais cette inexactitude n’est pas grave ; elle n’entraîne pas de conséquences pratiques erronées, et elle nous fournit au moins une intuition tout à fait impossible pour la sphère imaginaire. Ce dernier terme ne peut être associé dans notre esprit qu’à une relation analytique ; l’autre éveille à la fois une telle relation et une représentation objective et nous ne pouvons nier que cette dernière association ne soit beaucoup plus solide.

Dans l’exposé des nouvelles théories mathématiques dont j’ai parlé, je me suis attaché à me maintenir au point de vue réaliste, le seul qui, à vrai dire, me paraisse leur offrir une base suffisante. J’avais d’ailleurs un autre but, je voulais montrer que rien n’obligeait à considérer aucune de leurs conclusions comme objectivement possible.

On comprend ce que je veux dire ; subjectivement, je regarde comme possible, tout ce dont l’affirmation ne peut, par voie déductive, conduire à contradiction ; je n’ai pas et ne puis concevoir, relativement à moi, d’autre critérium du possible ni de l’impossible ; mais que je la connaisse immédiatement ou médiatement ou que je l’infère seulement d’apparences ou de signes sensibles seuls connus, il y a, hors de moi, une réalité extérieure, pour laquelle je n’ai pas de critérium semblable. Je sais que les phénomènes de la gravitation obéissent à la loi de Newton ; j’ignore absolument si une autre loi de la gravitation serait possible.

De même les phénomènes de l’étendue obéissent à certaines lois qui sont celles de la géométrie ; parmi les trois concepts subjectifs de l’espace, l’euclidien, le pseudosphérique et le sphérique de Beltrami, il y en a certainement un qui est le réel objectif, c’est-à-dire dont dérivent les lois réelles de l’étendue. Je ne sais pas du tout si les deux autres sont possibles, et la géométrie ne peut rien m’apprendre à cet égard.

Quel est d’ailleurs l’espace réel ? c’est à l’expérience à prononcer, absolument comme pour la loi de gravitation. Il est vrai qu’elle ne pourra jamais être absolue et que si faible que soit la limite d’erreur, je puis imaginer subjectivement un rayon de courbure positif ou négatif assez grand pour que l’expérience faite ne soit pas en désaccord