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entre eux, et possédant chacun son seigneur, ses ouvriers de toutes sortes, son étroit commerce intérieur, exactement comme un annélide est formé de segments ayant chacun ses ganglions, ses appendices, ses branchies, son organe alimentaire simple, ne peut pas plus devenir une société comme la nôtre avec centralisation et grandes industries, sans développer son réseau de chemins et son commerce, que l’annélide ne peut devenir un crustacé ou un insecte, caractérisé par la multiplicité de ses parties et de ses fonctions, sans la formation d’un système vasculaire centralisé. » — C’est ce chapitre qu’il faut lire, si on veut se faire une idée de la verve hardie et ingénieuse (nous dirions presque amusante, si ce remarquable jeu d’esprit n’était pas en somme fort instructif) avec laquelle l’auteur presse cette comparaison entre le développement du système vasculaire dans les animaux et celui des voies de communication dans les sociétés, entre la circulation du sang et la circulation commerciale. Tout le monde sait comment, dans les Principes de Biologie et dans les Principes de Psychologie, il a tâché d’expliquer d’une façon purement mécanique, sans aucune considération de finalité, sans l’intervention d’aucune direction intentionnelle, la formation et des canaux vasculaires et des tubes nerveux au sein d’organismes rudimentaires, d’abord entièrement homogènes. C’est, selon nous, la partie la plus laborieuse, la plus hypothétique, la plus risquée de tout le Système. Il y a une telle disproportion entre l’admirable ordonnance, la richesse des structures à expliquer et la pauvreté (même logique) des explications proposées, que l’on a peine à croire que M. Spencer en soit lui-même aussi satisfait qu’il veut le paraître. Mais ne discutons pas, contentons-nous de résumer. À l’origine donc (chez les protozoaires du type des rhizopodes) point de système distributeur, point de canaux de communication : l’aliment ne suit aucune ligne déterminée ; il imbibe pour ainsi dire également en tous sens cette masse homogène, instable et d’ailleurs très-petite. Quand la masse devient plus volumineuse et plus compliquée, il faut des vaisseaux pour apporter à la couche extérieure l’aliment absorbé par la couche profonde. Ces vaisseaux se forment par le passage répété des matières nutritives selon « les lignes de moindre résistance. » Ce ne sont d’abord que des sinus ou ramifications de l’estomac ; mais le liquide nourricier, ainsi attiré de plus en plus loin à mesure des exigences locales, finit par se frayer des passages de plus en plus nombreux et de plus en plus fixes. Il se produit d’abord de légères contractions rhythmiques, qui seront plus tard les battements du cœur. Ainsi du reste. — Or les voies de communication ne se forment pas autrement dans les sociétés. Il n’y en a pas trace dans la horde du plus bas degré. Le groupe est si petit, les relations de ses membres si irrégulières, l’installation si instable, les échanges si rares, qu’il n’y a pas même de sentiers d’une hutte à l’autre. Mais que l’agrégat s’accroisse, qu’il y ait fusion de plusieurs tribus, que la division du travail apparaisse : des mouvements d’échange devront se produire selon les besoins ; les communications