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ANALYSES. — h. spencer.Principles of Sociology.

semble avoir hâte, pour y revenir, d’éliminer comme importune cette remarque qui, tout en s’imposant à l’analyse consciencieuse du philosophe, ne laisse pas de menacer un peu son système. En effet (et nous touchons ici le point vif), loin d’être accessoire, elle est radicale à nos yeux, cette différence entre les deux termes qu’on tâche d’identifier ; loind’être négligeable, elle suffira, sinon à déranger toute la comparaison, du moins à vicier toutes les conséquences qu’on en pourra tirer. Car ce n’est pas ici un pur jeu d’esprit, tant s’en faut, mais un procédé scientifique, un moyen d’investigation. Cherchant les lois de la sociologie, on demande des lumières à la biologie ; on a entrevu, supposé, deviné à priori que les lois sont les mêmes dans les deux ordres de phénomènes, ne sont, de part et d’autre, que les lois mêmes de l’évolution. Cette identité, il faut l’établir, et, pour cela, on raisonne par analogie. C’est un moyen légitime d’arriver à des présomptions qui permettent de mettre un peu d’ordre et de voir un peu clair dans le chaos des faits ; s’il arrive que les faits s’accordent d’une façon remarquable avec ces présomptions fondées sur des analogies, et y trouvent leur explication, on se croira en possession des lois véritables, et on aura raison jusqu’à preuve du contraire. — Mais cette méthode, qu’on y prenne garde, exige une prudence portée jusqu’au scrupule. Vu la complexité, la variété infinie des phénomènes sociaux et des événements historiques, on est si sujet à se méprendre sur leur sens, il est si facile de les accommoder, de bonne foi, à ses idées, c’est là, en un mot, une matière si malléable et si docile, qu’il faut être tout particulièrement sévère pour les idées préconçues, les partis pris qu’on apporte dans ces études. Les hypothèses y sont nécessaires comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, mais elles y sont trop périlleuses pour qu’on ne soit pas tenu, avant de s’y fier, de les soumettre à un examen rigoureux. Quand c’est, par exemple, sur un raisonnement par analogie qu’on les fonde, il faut se rappeler qu’un tel raisonnement ne vaut qu’autant que les analogies sont profondes et complètes. Or une société humaine est-elle vraiment en tous les points essentiels analogue à un organisme ? Non, puisque les relations entre les parties constituantes sont tout autres, tout autre aussi le but à atteindre. Ces différences, assurément, n’empêchent pas les ressemblances d’être réelles, intéressantes, fort utiles à signaler ; mais elles demandent, elles aussi, à n’être pas un instant perdues de vue. Ce sont des différences, non de degré seulement, mais de nature et d’essence. N’en pas tenir le plus grand compte, ne les signaler que pour passer outre, c’est se condamner à n’avoir que partiellement raison dans toute la suite, parce qu’en cédant ainsi à la tentation de prendre pour une identité complète ce qui n’est qu’une demi-analogie, on néglige certains éléments du problème, et on laisse de côté la moitié de la vérité.

Comment serait-ce une chose de peu d’importance qu’un agrégat soit composé d’unités enchaînées les unes aux autres, impossibles à isoler, dénuées de spontanéité vraie, ou au contraire d’individus proprement