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En réalité, le seul cas de causalité directe, immédiate et vraiment typique, c’est l’acte de volonté qui ne franchit pas les bornes de l’entendement. La force et la cause sont premièrement et essentiellement des relations entre des représentations, entre des idées, chez l’agent volitif : c’est là que nous puisons l’idée de détermination ; c’est de là que nous la transportons dans le monde extérieur, où les phénomènes ne nous sont intelligibles que par l’existence de sujets agissant à la manière de la volonté ou même comme des volontés affaiblies et de moins en moins conscientes, sans qu’elles arrivent jamais cependant jusqu’à l’inconscience absolue[1]. L’être représentatif ne comprend rien qu’à son image et à sa ressemblance ; la conception de la réalité est forcément dynamique : nous ne croyons à une loi de la nature que là où l’ordre de succession se présente à nous comme un ordre de détermination. « La force envisagée dans la conscience, dit M. Renouvier, est un type sur lequel nous modelons le rapport de causalité de tous les phénomènes extérieurs enchaînés dans le devenir, mais il faut que la succession constante de ceux-ci se trouve établie d’ailleurs[2]. » Ainsi les droits de l’expérience sont aussi bien respectés que ceux de la conscience.

Il faut aller plus loin encore : le dynamisme, pour l’auteur des Essais, ne se sépare pas du finalisme. Si, logiquement, la cause et la fin se distinguent, si même la science peut et doit définir les phénomènes externes indépendamment des causes et des fins, abstraction faite des phénomènes de conscience, les deux termes n’en sont pas moins donnés simultanément dans la seule représentation de la causalité vraie. « Le devenir implique la puissance et la cause, il n’implique pas moins la tendance et la fin. Tout changement, selon la représentation, veut une force ; c’est le principe de causalité. Tout changement veut de même une passion : c’est le principe de finalité[3], » principe régulateur, que l’analyse impartiale des faits nous force à constater dans l’ordination des conditions d’existence. Comment nier la finalité sans nier l’ordre de dépendance des phénomènes, et par suite la causalité elle-même qui n’est qu’harmonie et concordance ?

Toutefois, il y a ici une difficulté beaucoup plus grave qu’on ne saurait éluder. Les adversaires des causes finales ne nient pas l’ordre ; leur prétention est de le faire naître sinon du désordre et du hasard, au moins des lois purement mécaniques. C’est toujours le

  1. Comme Leibniz, M. Renouvier attache la plus grande importance à la question des petites sensations, des sensations presque non senties, à laquelle l’excellente traduction de la Philosophie de l’Inconscient, de M. Hartmann, par M. Nolen, vient de rendre un nouveau et puissant intérêt.
  2. Log, gên., II, 287.
  3. id., II, 464.