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beurier. — philosophie de m. renouvier

le disons pas cependant : nous distinguons très-bien les conditions et la cause de ce phénomène : la condition, c’est le mouvement de rotation de la terre ; la cause, c’est la lumière solaire. La rotation de la terre n’explique l’alternance des nuits et des jours que dans l’hypothèse où il y a au centre de notre système planétaire un foyer de lumière. Autre chose est donc l’idée de succession, même invariable ; autre chose l’idée de condition nécessaire ; enfin et surtout, autre chose encore l’idée de détermination. Ainsi on jette une pierre dans un fleuve et elle s’y enfonce : cela n’arriverait pas si la densité de l’eau était celle du marbre ; mais rien n’arriverait, s’il ne s’était pas trouvé quelqu’un pour lancer la pierre ; c’est ce quelqu’un qui est le déterminant, qui est la vraie cause.

Si nous établissons une distinction entre les déterminants et les successifs, entre les causes et les conditions, c’est que nous avons conscience de notre spontanéité déterminatrice dans l’acte volontaire. Ce n’est pas que la volonté engendre jamais d’elle-même un phénomène de locomotion, se convertisse et se transforme en un mouvement musculaire : on ne saurait même dire que nous avons la conscience immédiate d’un lien de causalité entre la volition et l’agitation d’un membre puisque ces phénomènes sont séparés par toute une chaîne d’intermédiaires. Le raisonnement d’Hamilton, reproduit par Stuart Mill, est concluant sur ce point, et « doit nous faire classer la théorie, encore célèbre chez nous, de Maine de Biran parmi les moins défendables erreurs qu’il y ait en philosophie[1]. » À défaut de conscience immédiate, nous avons tout au moins, et cela suffit, la notion anticipée d’une relation de cause ou de force, d’un rapport de déterminant à déterminé entre un certain état mental et certains phénomènes corporels. Il n’est même pas besoin que les muscles agissent pour que nous ayons cette idée. Supposons, avec Stuart Mill, un paralytique qui ne saurait que par l’exemple et par l’information d’autrui l’existence de la locomotion. L’hypothèse n’anéantit pas la donnée, d’une correspondance naturelle entre le physique et le moral, quoique suspendue par un cas pathologique, car de même qu’il faut supposer l’organisme normal constitué comme il doit l’être pour que la correspondance soit possible, de même il faut croire que la pensée comprend les caractères ou éléments voulus pour se la représenter. Rien n’empêcherait donc le paralytique d’être capable d’un effort qui se trouverait pratiquement inefficace. Qu’importe d’ailleurs ? ne voyons-nous pas, dans le seul ordre représentatif, des idées appelées, retenues, enchaînées ou encore des affirmations suspendues par l’action volontaire, et cela ne suffit-il pas ?

  1. Log. gén., II, 326.