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beurier. — philosophie de m. renouvier

tous les êtres sont ordonnés et classés et qu’ils forment dans leur état statique, aussi bien qu’ils suivent en leur développement, des séries dont l’espèce, au sens le plus général du mot, est le grand moyen de description et de distinction. « Enfin l’esprit lui-même, en qui rentre la nature entière en tant que connue, et sans lequel elle ne se connaîtrait pas, l’esprit n’est qu’une spécification en acte. La distinction est son nom, à titre premier, avant l’identification s’il est possible, car on n’identifie que ce qu’on distingue. Le spectateur dont je parle, qui se rend compte des conditions de l’existence, pareilles à celles du savoir, refusera d’admettre que le problème de la philosophie et des sciences soit de découvrir comment les divers de la nature sont tous descendus de l’un et du même. Ce problème lui paraîtra plutôt un non-sens, parce que l’énoncé de la question en supprime les données[1]. » Raisonnons en effet. Dans le système de la création, l’auteur des choses fait et ordonne tout selon des espèces, ou, si l’on aime mieux, selon des idées. Si l’on rejette la création, on n’en est pas moins obligé d’admettre des diversités primordiales, car autrement il faudrait poursuivre les séries d’espèces dans le temps et dans l’espace jusqu’au point où elles se confondraient dans le néant de l’existence, ce qui n’expliquerait rien et même serait contradictoire.

On me permettra d’observer ici que le dilemme posé par fauteur est aussi irréfutable pour les partisans que pour les adversaires de la régression à l’infini. Qu’on accepte ou qu’on rejette un premier commencement des choses, il n’en sera pas moins nécessaire, dans l’une comme dans l’autre hypothèse, d’accepter des distinctions fondamentales, des fonctions et des lois irréductibles. Ces problèmes font naître beaucoup de confusions dans les esprits : ainsi les matérialistes, qui repoussent les créations spéciales de la divinité, admettent assez généralement les générations spontanées. C’est pure contradiction, dit M. Renouvier, car c’est toujours revenir à la spécificité naturelle, et force est d’y revenir. La seule question est de savoir dans quelle mesure les espèces ou variétés sont mobiles et changeantes. Le champ, ainsi restreint, reste ouvert aux hypothèses scientifiques, mais, logiquement, il faut s’arrêter à des données et par suite à des espèces premières, si loin qu’on recule la limite du passé et quand même on n’accepterait aucune limite.


Si du représenté, du connu, nous passons au représentatif, au connaissant, nous retrouvons sous une autre forme la même théorie

  1. Log. gén., III, 156.